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Sanctifier pour servir et servir pour sanctifier

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Le Blog Modern Orthodox est heureux de continuer son projet « parashat hashavoua » qui propose des commentaires de la écrits par des intellectuel/le/s de différents horizons. Cette semaine, Lucie Esther Chaix commente la parashat “Tetsaveh”.

Diplômée d’un Master II en Histoire du droit de l’université d’Assas, Lucie Chaix a également étudié pendant un an et demi dans le programme Alisa de la Midreshet Nishmat à Jérusalem de manière intensive et y étudie actuellement à temps partiel.  Elle vit à Jérusalem.

Le sujet principal de la parasha de cette semaine est la description des habits portés par le Cohen Gadol (Grand prêtre) et les Cohanim (prêtres) durant leur service dans le Tabernacle. On s’intéressera ici aux différences entre le service du Cohen Gadol et celui des Cohanim (1.), du lieu du service du Cohen Gadol et de celui du service des Cohanim (2.) et, enfin, des Cohanim en tant qu’agents de Dieu ou agents du peule d’Israël.

  1. Les services du Cohen Gadol et des Cohanim

Il est courant lors de la lecture de la Torah de constater de nombreuses disparités entre le texte littéral et la halakha telle qu’elle est appliquée aujourd’hui, phénomène qui est expliqué de différentes manières et dont cette parasha est un exemple éloquent. En effet, Tetzaveh montre la grande disparité existant entre la Loi écrite et la Halakha telle que définie par ‘Hazal, ce qui est ici surprenant. En effet, l’on ne parle pas ici d’un sujet halakhique mineur, mais bien de la structure du service au sein du Tabernacle.

Le service au sein du Tabernacle est assuré par deux types de Cohanim : le Cohen Gadol, Aaron, et les Cohanim, ses fils, dont les statuts diffèrent de manière flagrante. En effet,  le Cohen Gadol est perçu comme étant un homme intrinsèquement saint, alors que les Cohanim ne sont pas définis comme saints. On perçoit ici une focalisation sur le rôle d’Aaron en tant que Cohen Gadol qui est exprimée dès les premiers versets de la parasha qui commandent d’élaborer des vêtements saints à l’intention du Cohen Gadol seulement et non à l’intention du Cohen Gadol et des Cohanim.

« ועשית בגדי-קודש לאהרון אחיך לכבוד ולתפארת »

« Et tu réaliseras des vêtements sacrés pour Aaron ton frère, de gloire et de splendeur » (Ex: 28,2).

C’est seulement quelques versets plus loin que l’on apprend que des vêtements saints doivent également être élaborés pour les fils d’Aaron.

וְעָשׂוּ בִגְדֵי-קֹדֶשׁ לְאַהֲרֹן אָחִיךָ, וּלְבָנָיו–לְכַהֲנוֹ-לִי

Ils feront des vêtements sacrés pour Aaron ton frère et pour ses enfants, afin qu’il me serve. (Ex. 28,4).

Il est cependant intéressant de noter que, même ici, le commandement se finit au singulier et non au pluriel (« לכהנו לי).

La différenciation entre Aaron dont les vêtements le sanctifient et les vêtements de ses fils, qui leur permet seulement d’effectuer leur service au sein du Mishkan mais ne les sanctifient pas existe bel et bien. L’on se doit ici d’interpréter les différents versets de Tetzaveh et les contradictions présentes dans le texte de manière à préserver cette différenciation.

A plusieurs endroits[1] est mentionné que les vêtements d’Aaron ont pour fonction de le servir, de lui servir lorsqu’il entre dans le Saint des Saints. Quel est le lien entre les vêtements du Cohen Gadol et son entrée dans le Saint des Saints ? De plus, pourquoi la Torah ordonne que son long manteau soit décoré de cloches ?[2] L’explication donnée est qu’il doit être entendu lorsqu’il pénètre dans cette partie du Mishkan afin qu’il ne meure pas. Cependant ce verset soulève un véritable problème. En effet, le Cohen Gadol n’entre pas dans le Mishkan vêtu de ses huit habits. Il n’officie avec ces vêtements que lorsqu’il se trouve dans le Sanctuaire. L’on pourrait émettre comme suggestion que que le texte fait référence à Aaron lorsqu’il pénètre dans le Sanctuaire, cependant les Cohanim y pénètrent également et il n’existe aucune d’obligation à leur encontre d’accrocher des cloches à leurs vêtements.

De nombreux commentateurs se sont exprimés au sujet de ces cloches et proposent plusieurs solutions afin de résoudre l’apparente contradiction.

              Le Rashbam[3] explique que les cloches avaient comme but de maintenir tout le monde à distance afin de respecter l’interdit pour quiconque de se trouver au sein du Mishkan lorsque le Cohen Gadol pénètre dans le Saint des Saints. Afin de réconcilier cette explication avec le fait que le Cohen Gadol effectue son service durant Yom Kippour en ne portant que quatre vêtements – dont le manteau ne fait pas partie – l’on doit adopter une des deux possibilités suivantes. Selon le Rashbam, le Cohen Gadol devait à l’origine effectuer son service dans le Saint des Saints en portant ses huit vêtements ou il se peut que, selon le Rashbam, le service de repentance lors de Yom Kippour devait s’effectuer dans le Sanctuaire où le Cohen Gadol porte ses vêtements habituels et non dans le Saint des Saints.

Le Ramban[4] suit l’avis du Rashbam mais précise que les cloches sont nécessaires pour les parties du service effectuées durant Yom Kippour dans le Sanctuaire pendant lesquelles le Cohen Gadol porte ses huit habits. Selon le Ramban c’est en ce jour que les cloches sont nécessaires, pour la gloire du Cohen Gadol.

L’on pourrait se satisfaire de cette explication. Néanmoins, un problème subsiste. En effet, l’obligation est formulée de manière générale dans le texte et non liée de manière spécifique à Yom Kippour. De plus, il est possible que la parasha du service du Cohen Gadol pour Yom Kippour ait été donné après que le Mishkan a été construit et, dans ce cas, l’explication donnée par le Ramban ne peut pas être acceptée.

              Il est possible de résoudre autrement la contradiction soulevée ici. Pour cela, il est important de s’intéresser maintenant au rôle des Cohanim qui diffère tant de celui du Cohen Gadol et des endroits où les deux types de Kohanim effectuent leurs services respectifs.

  1. Le Sanctuaire et la Cour

En dehors de quelques exceptions, il n’est pas permis aux Cohanim d’effectuer son service au sein même du Mishkan. Il doit être effectué dans la cour, sur l’autel. A chaque fois qu’une fonction pastorale devant être effectuée dans le Mishkan est mentionnée, elle relève de la responsabilité d’Aaron, le Cohen Gadol, ce qui est explicitement écrit dans la Torah, comme le commandement d’offrir de l’encens[5].

De la même manière, l’on pourrait dire que lorsque la Torah mentionne «תחתיו מבניו אשר יבא אל אהל מועד לשרת בקדש בשבעת ימים ילבש הכהן » (Ex. 29,30), le service ne s’effectue pas dans le Saint des Saints mais dans le Sanctuaire. Cependant, quel est l’intérêt d’effectuer le service pendant sept jours en portant les huit vêtements en préparation pour le service de Yom Kippour durant lequel seuls quatre vêtements sont portés par le Cohen Gadol ? L’on peut ici émettre l’hypothèse que le Cohen Gadol est en effet entrain de se préparer pour le service se déroulant dans le Sanctuaire qui s’effectue en portant les huit vêtements.

Si l’on accepte l’hypothèse selon laquelle un Cohen ne peut pas servir dans le Sanctuaire, on est alors en mesure de réconcilier les contradictions vues précédemment. Aaron est saint tout comme ses vêtements car il est choisi de manière unique afin d’officier au sein du Sanctuaire. Ses fils sont de « simples » cohanim choisis pour officier dans la cour qui n’incarne pas la même sainteté que l’intérieur du Mishkan. Aaron est celui qui doit utiliser les cloches car lui seul entre dans le Sanctuaire. Cela permet également d’expliquer le lien existant entre les habits et l’entrée dans le Sanctuaire. Le texte ne fait pas référence ici à l’entrée au sein du Saint des Saints mais bien à l’entrée au sein du Sanctuaire pour laquelle le Cohen Gadol est sanctifié en portant des vêtements spécifiques.

Cette explication permet également de mieux comprendre la composition des vêtements du Cohen Gadol et des Cohanim. En effet, seuls les vêtements d’Aaron sont composés de violet, bleu, rouge, or et du fil car il ‘agit des mêmes matériaux que ceux utilisés pour les rideaux du Mishkan, l’endroit où Aaron officie. Dans la cour, seul le fil est utilisé pour les rideaux, par conséquent, les habits des Cohanim sont fabriqués avec les mêmes matériaux.

De plus, le Cohen chargé de placer les cendres hors du camp porte deux vêtements, un Cohen en porte quatre et le Cohen Gadol en porte huit ce qui permet de conclure que le nombre de vêtements portés dépend de l’endroit où a lieu l’office. Un office ayant lieu en dehors du camp ne requiert de ne porter que deux vêtements, les offices se déroulant dans la cour d’en porter quatre, et ceux se déroulant dans le Mishkan, d’en porter huit. Plus le niveau de sainteté de l’endroit où se déroule l’office est élevé, plus le nombre d’habits augmente.

Il est important de mentionner, pour conclure cette deuxième partie, qu’a priori, Aaron n’était pas supposé pouvoir entrer dans le Saint des Saints. Sans cela, il est incompréhensible pourquoi les habits blancs sont réservés pour entrer dans cet endroit alors que ce n’est pas mentionné dans notre parasha. L’entrée dans le Saint des Saints n’est devenue nécessaire qu’après la faute du Veau d’Or. Ainsi cette entrée n’a été autorisée que post facto ce qui explique pourquoi le Cohen Gadol n’entre pas dans le Saint des Saints en portant seize vêtements mais en en portant seulement quatre. En effet, ces vêtements n’apparaissent que plus tardivement[6].

  1. Au service d’Israël ou au service Dieu ?

En ce qui concerne la nature des habits du Cohen Gadol, un autre aspect important doit être détaillé qui contraste avec les habits des Cohanim. Il existe une différence entre les couleurs des rideaux du Mishkan et celles des vêtements du Cohen Gadol. En effet, la couleur or n’est pas présente dans les rideaux du Mishkan alors qu’un fil d’or est utilisé dans les vêtements du Cohen Gadol. Par contraste, les ustensiles du Mishkan sont en or et ne contiennent pas de bleu. Il y a une différenciation nette : le Mishkan est fait de bleu tandis que les ustensiles sont en or, alors que dans les vêtements du Cohen Gadol, les couleurs or et bleu sont toutes les deux utilisées, ce qui nous amène à dire que le statut de prêtrise peut être perçue de deux manières. Les Cohanim représentent la communauté, durant leur service dans le Mishkan, ils représentent l’ensemble de la nation ou ils font partie du Mishkan et officient pour Dieu et Le servent.

Ces deux approches permettent de comprendre pourquoi les couleurs or et bleu sont toutes les deux présentes dans les habits du Cohen Gadol. Cette combinaison montre que les Cohanim appartiennent au Mishkan, ils en sont en quelque sorte les ustensiles, mais cela ne vient pas nier qu’ils sont également les représentants de la nation.

              Enfin, l’on constate que, selon la Halakha, les Cohanim peuvent officier dans le Heikhal. Comment la Halakha a-t-elle pu être changée et qu’il soit devenu possible pour les Cohanim de servir dans le Heikhal ? Il ne s’agit pas seulement d’une contradiction au sein de la Halacha, en effet, toutes les mishnayot qui décrivent le service dans le Mishkan décrivent des Cohanim y officiant. Cette contradiction peut être résolue en effectuant une différenciation entre la période où le peuple d’Israël résidait dans le désert et celle où il résidait sur sa terre. En effet, dans le désert, Dieu était présent dans tout le camp, ce qui créait un niveau particulièrement élevé de Shekhina ce qui avait pour conséquence que celui se trouvant en état d’impureté devait se retirer entièrement du campement. Cette analogie peut être appliquée à l’office du Mishkan. En effet, de par le niveau de Shekhina (Présence divine) particulièrement élevé dans le désert, les Cohanim n’étaient pas autorisés à servir dans le Mishkan. Cependant, cette restriction a été levée lorsque le peuple d’Israël s’est installé sur sa terre et y a établi un Mikdash permanent où le niveau de Shekhina était moins élevé, leur permettent dès lors de servir dans le sanctuaire.

               Ainsi, cette parasha montre les différences existant entre la fonction du Cohen Gadol et celle des Cohanim, celles-ci s’exprimant tant par les endroits où le Cohen Gadol officie et ceux où les Cohanim que par les différences existant dans la composition de leurs vêtements respectifs. Néanmoins, les deux catégories de Cohanim sont tout autant au service de Dieu qu’au service du peuple d’Israël et procèdent tout autant à sanctifier le Nom Divin par leur service divin qu’à servir Dieu en Le sanctifiant.

Notes :

[1] Voir par exemple Exode 28,12 et Exode 28,29.

[2] Exode 28,35

[3] r. Shmuel ben Meir (c.1085-c.1158), un des Baalei Tossafot, petit-fils de Rashi.

[4] R. Moshe ben Na’hman (1194-1270), aussi appelé Na’hmanide, rabbin médiéval espagnol.

[5] Exode  30,7.

[6] Cette idée est rapportée par le rav Meir Spiegelman de la Yeshivat Har Etzion d’Alon Shvut.

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La brisure des Tables ou la naissance du Prince Moïse

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Le Blog Modern Orthodox est heureux de continuer son projet « parashat hashavoua » qui propose des commentaires de la écrits par des intellectuel/le/s de différents horizons. Cette semaine, Avidan Kogel commente la parashat “Ki tissa”. Avidan Kogel est médecin, spécialisé en gériatrie. Il vit en région parisienne avec sa femme et ses enfants.

L’épisode où Moïse brise les Tables de la Loi face au veau d’or est un des moments les plus dramatiques de la Bible. Je vous propose, dans ce commentaire, une lecture de ce texte mettant en valeur la mise en scène qui le sous-tend.

Plusieurs réflexions seront ajoutées en notes de fin afin de ne pas vous perturber dans la lecture du commentaire

Résumé des faits

Dieu est en train de donner les Tables de la Loi à Moïse. Pendant ce temps, ne voyant pas Moïse revenir, le peuple demande à Aaron de construire un veau d’or. Dieu, voyant le veau, demande alors à Moïse de redescendre vers les enfants d’Israël. Moïse descend et, face à la faute du peuple, jette les Tables de la Loi qui se brisent puis, aidé des Lévites, il tue 3000 des fauteurs de troubles.

Reprenons à la scène 1.

Scène 1

Les premiers versets nous situent dans le camp des Hébreux où règnent le doute et la démoralisation. Moïse est parti depuis 40 jours et n’a plus donné signe de vie.

Quelques hommes, las d’attendre, s’approchent d’Aaron et lui disent : « Allons ! Fais-nous un dieu qui marche à notre tête, puisque celui-ci, Moïse, l’homme qui nous a fait sortir du pays d’Egypte, nous ne savons ce qu’il est devenu ». (Ex. 32, 1)

Aaron acquiesce et répond : « détachez les pendants d’or […] et apportez-les-moi ». (Ex. 32, 2)

La nouvelle de la fabrication d’un dieu de substitution par Aaron se répand vite. Le Peuple approuve, si bien que « tous se dépouillèrent des pendants d’or et les apportèrent à Aaron ». (Ex. 32, 3)

Aaron allume un grand feu, « jette [l’or] dans un moule et en fit un veau de métal » (Ex. 32, 4).

Cette première scène, très scénarisée, se poursuit par la construction d’un autel devant le veau d’or et se termine, le lendemain, par une vue panoramique du camp des hébreux qui se livrent à une scène d’orgie : « le peuple se mit à manger, et à boire, puis se livra à des réjouissances » (Ex. 32, 6).
Fin de la scène 1.

A l’issue de cette scène, nous comprenons donc que tout le peuple Hébreu a trahi la parole divine, a perdu toute confiance en Moïse, et même Aaron, le frère et allié de Moïse, est passé du côté obscur.

Scène 2

La deuxième scène de l’acte est une scène intimiste, en clair-obscur, entre l’Eternel et Moïse. Cette scène, qui se déroule en même temps que la précédente, contraste avec l’agitation, les bruits et les couleurs de la scène précédente. Nous avons donc 2 récits qui se situe dans la même temporalité : celui qui se déroule en bas avec le peuple qui se livre à des réjouissances et celui qui se déroule en haut entre Dieu et Moïse.

L’Eternel voit ce qu’il se passe en bas et demande à Moïse de descendre car les hébreux ont construit « un veau de métal […] ils se sont prosternés devant lui, ils lui ont sacrifié, ils ont dit « Voilà tes dieux, Israël, qui t’ont fait sortir d’Egypte ! » » (Ex. 32, 8).

La colère divine ne tarde pas : « Donc, cesse de me solliciter, laisse s’allumer contre eux ma colère et que je les anéantisse, tandis que je ferai de toi un grand peuple » (Ex. 32, 10).

L’antiphrase divine « Cesse de me solliciter et laisse s’allumer contre eux ma colère » est clairement un appel à la prière. Moïse, expérimenté, entend cet appel et intercède auprès de Dieu (Ex. 32, 11-13) et, après quelques mots, Dieu « révoqua le malheur qu’il avait voulu infliger à son peuple » (verset 14). On imagine tout à fait un plan fixe sur Dieu, soucieux[i], alors que Moïse vient de le quitter pour retourner vers son peuple.

Et ainsi, s’achève la deuxième scène de l’acte. La vitesse à laquelle Dieu s’apaise pour une faute aussi grande est d’ailleurs étonnante. Mais nous y reviendrons.

Scène 3

La troisième scène est la jonction des 2 récits. C’est la rencontre entre Moïse et son Peuple. Grâce aux 2 scènes précédentes, nous pressentons que la résolution de ce drame va être tragique.

 « Moïse redescendit de la montagne les deux Tables à la main » (Ex. 32, 15).

[Très Gros Plan sur les Tables de la Loi]
« Tables écrites sur les 2 faces, d’un côté et de l’autre » (ibid)

Remarquez comment on insiste sur les Tables de la Loi.

[Flashback sur la réalisation des Tables]
« Et ces Tables étaient l’ouvrage de Dieu ; et ces caractères gravés sur les Tables étaient des caractères divins ».

On a presque atteint le climax de la scène… Afin de rajouter encore plus de tension, on va nous faire comprendre que le spectacle que Moïse verra est pire encore qu’un champ de bataille.

[Gros plan sur Josué qui s’exclame]
« Des cris de guerre au camp ! » (Ex. 32, 17)

[Gros plan sur Moïse]
« Ce n’est point le cri d’un champ de victoire, ce n’est point le cri annonçant une défaite. C’est une clameur affligeante que j’entends. » (Ex. 32, 18)

Le moment décisif arrive.

[Très gros plan sur les yeux de Moïse puis zoom arrière et travelling centrés sur Moïse]
« Or, comme il s’approchait du camp, il aperçut le veau et les danses. Le courroux de Moïse s’alluma ; il jeta de ses mains les Tables et les brisa au pied de la montagne. Puis, il prit le veau […] le calcina par le feu et le réduisit en menue poussière » (Ex. 32, 19-20).

Fin de la scène 3.

Scène 4

La caméra se tourne vers le camp des Hébreux. La clameur, les cris de joie qu’il y avait dans le camp s’arrêtent brutalement. Un silence pesant règne sur la scène. On entend encore, en écho, le fracas de la destruction du veau dans le feu. Le peuple dégrisé et honteux assiste à cette destruction, les visages rougis par les flammes.

Moïse demande alors des explications à Aaron, puis il appelle ses soutiens. Avec les Lévites, il lance l’offensive contre les rebelles. 3000 morts. Puis, il demande pour la deuxième fois grâce à Dieu, qui pardonne au peuple et qui ordonne à Moïse de poursuivre sa route.

Fin de l’acte.

La brisure des Tables de la Loi

Revenons au sujet de notre commentaire, la brisure des Tables de la Loi.
On imagine sans peine la colère de Moïse au moment de la brisure des Tables de la Loi. Pour se représenter la force symbolique de cet acte, imaginons un Rabbin, excédé par les transgressions des membres de sa communauté, jetant les rouleaux de la Torah devant tout le monde. Et cette brisure est infiniment pire car les Tables de la Loi sont « l’ouvrage de Dieu », avec des « caractères divins », « burinées par le doigt de Dieu » (Ex. 31, 18).

Cet acte est d’autant plus étonnant que Moïse était au courant de la faute des hébreux. Dieu ne lui a-t-Il pas dit au verset 8, « ils se sont faits un veau de métal, ils se sont prosternés, ils lui ont sacrifié… » ? Et Moïse, « le plus grand des prophètes », qui a partagé cette vision du veau de métal avec Dieu, savait donc de quoi était coupable le peuple. Alors, pourquoi a-t-il alors jeté les Tables de la Loi ?

Le pouvoir de l’image

Un premier élément de réponse que nous pouvons apporter est celui du pouvoir des images. Nous l’expérimentons au quotidien puisque nous baignons dans l’information. Pourtant, même si nous avons lu avec force de détails le récit d’un évènement dans les journaux, nous savons que voir les images de cette même scène à la télévision aura un impact émotionnel beaucoup plus fort ; et la vivre, encore plus.
C’est exactement ce qu’il se passe dans notre scène. Dieu a vu le veau d’or, les réjouissances et Il partage cette vision avec Moïse. Puis, une fois descendu de la montagne, Moïse voit de ses yeux cette scène. Il voit ce spectacle terrifiant, mais aussi, il sent les odeurs des sacrifices, il entend les cris du peuple. Il vit avec tous ses sens l’outrage du peuple et, la colère dépassant sa raison, il brise les Tables de la Loi.

C’est cette interprétation que propose Rabbi Isaac Arama (1420 – 1494) dans son ouvrage Akedath Yitshak (chapitre 53) et qui est rapportée par Nehama Leibowitz dans son commentaire sur la paracha Ki Tissa : « Le problème n’est pas si compliqué : l’homme est ainsi fait qu’il est plus impressionné par ce qu’il voit que par ce qu’il entend dire, même au cas où il n’émet aucun doute sur la vérité de ce qu’il a entendu ».

Blasphème contre blasphème[ii]. La destruction des Tables divines est la réponse de Moïse à la création d’un dieu par le peuple.

Mais cela n’explique pas les questions suivantes : pourquoi Dieu a-t-il pardonné si vite au peuple ? Et, puisque Dieu a pardonné, pourquoi Moïse rassemble immédiatement après ses fidèles (« les Lévites ») et, ensembles, ils assassinent « 3000 hommes » (Ex. 32, 28) ?

Le pardon divin

Nous avions dit précédemment être étonnés que pour une faute aussi grave, Dieu s’apaise aussi vite. Le déroulement attendu aurait été : le peuple faute, Dieu se met en colère, punit le peuple tandis que Moïse intercède auprès de Lui, pardonne et c’est reparti jusqu’à la prochaine faute (voir par exemple : nb 16 ou nb 21, 4 – 9).

Ici, c’est différent. Le peuple faute, Dieu se met en colère et Moïse dit à Dieu (je résume) : « Tu as tant fait en les faisant sortir d’Egypte pour les tuer dans le désert ? Que vont penser les égyptiens ? Annule ta sentence et rappelle-toi les promesses que tu as faites aux patriarches ! ». Et là, Dieu, convaincu, « révoqua le malheur qu’il avait voulu infliger à son peuple » (Ex. 32, 14). Et voilà. Fin de la colère divine.

Certes, c’est bien argumenté et bien tourné de la part de Moïse mais, soyons réaliste, le peuple aurait mérité une punition exemplaire de la part de Dieu pour laver l’outrage (décrit comme un des plus grands de l’histoire) dont Il a été victime. Comment expliquer un apaisement aussi rapide ?

Possiblement parce que Dieu va profiter de cette faute pour laisser à Moïse la possibilité de devenir ce pourquoi il a été choisi.

L’émancipation de Moïse

La première partie du programme divin était le don de la Torah et, pour cela, Dieu avait besoin d’un porte-parole qui accomplisse fidèlement Ses ordres pour faire sortir le peuple hébreu d’Egypte et les mener jusqu’au Sinaï. Moïse a parfaitement rempli cette mission.

Une fois la Torah donnée, Dieu doit progressivement se retirer et laisser son autonomie au peuple hébreu pour qu’il puisse se préparer à s’installer, à travailler et à survivre en terre de Canaan. Le peuple ne doit plus compter uniquement sur les miracles divins, il doit apprendre à dépendre de lui-même. Et telle est également la mission de Moïse. Il doit devenir le chef du peuple et le gouverner[iii].

Mais, tout ne s’est pas déroulé comme prévu. En effet, le peuple a fait de Moïse l’incarnation de Dieu sur terre[iv]. Et, après 40 jours d’absence, le peuple, se sentant abandonné, construisit le veau d’or qui avait un rôle de substitution de Moïse – le médiateur entre le peuple et Dieu.

Manitou[v] expliquait que dans la pensée du peuple, encore influencé par l’idolâtrie égyptienne, il y avait « Moïse l’homme » et « Moïse pas l’homme ». Moïse était ce médiateur qui, à un certain niveau terrestre, était un homme, mais à un autre niveau était, pour le peuple, un Dieu.

Moïse va changer son image auprès du peuple en lui démontrant qu’il n’a rien de divin. Il va prouver au peuple qu’il est leur chef légitime et qu’il est issu du Peuple et non pas issu de Dieu. Il va donc prendre 2 initiatives terribles qui auront un impact énorme : briser les Tables de la Loi écrites de la main divine et mater la rébellion.

C’est la première fois depuis qu’il a été choisi par Dieu que Moïse prend une décision d’une telle importance sans Son accord.

En brisant les Tables de la Loi, Moïse montre au peuple qu’il contrôle la loi et qu’il est capable de prendre des décisions sans faire appel à Dieu[vi].

Puis, en matant la rébellion[vii] sans procès, acte politique sanglant et immoral, Moïse acquiert sans contestation possible le pouvoir exécutif. Pour comprendre cet acte, il faut lire ce qu’en dit Machiavel dans son traité politique « Le Prince » qui expose l’art de la conquête et de la conservation du pouvoir, en particulier en se fondant sur la compréhension et la manipulation des sentiments humains et populaires (Wikipédia).

« Il faut compter pour rien la réputation de sanguinaire, quand cela devient utile pour maintenir la paix et la fidélité » (Machiavel, Le Prince, chapitre 17).

Ainsi, selon Machiavel, le « prince » n’est pas tenu par être moral pour conserver le pouvoir.

Moïse en exécutant froidement, publiquement et brutalement 3 000 de ses opposants frappe les esprits et décourage toute contestation à son autorité.

Moïse, détenteur des pouvoirs judiciaire et exécutif, est bien le prince attendu.

Moïse, souverain du peuple

« Par-dessus tout, il faut qu’un Prince ne fasse rien qui ne lui attire la réputation d’un esprit grand et élevé » (Machiavel, Le Prince, chapitre 21)

Le peuple est massé derrière Moïse. Il est encore sous le choc des derniers événements et terrorisé. Le peuple vient de subir la colère de Moïse, mais il sait que la colère divine risque d’être pire encore. Sa survie ne tient plus qu’à un fil.

Et, c’est Moïse, chef incontestable et dernier espoir du peuple, qui va s’avancer vers Dieu et Lui demander pardon au nom du peuple : « Hélas, ce peuple est coupable d’un grand péché, ils se sont fait un dieu d’or ; et pourtant, si tu voulais pardonner à leur faute ! » (Ex. 32, 31-32).

Moïse va encore plus loin en répondant de sa personne des actes du peuple devant Dieu : « Sinon, efface-moi du livre que tu as écrit »[viii] (Ex. 32, 32). En disant cela, Moïse témoigne à son peuple qu’il est solidaire et qu’il ne l’abandonnera pas, quitte à mourir avec lui.

Dieu pardonne au Peuple et approuve les actes de Moïse puisqu’Il conclut par cette litote : « Et maintenant, va ! Conduis ce peuple où je t’ai dit » (Ex. 32, 34), sous-entendu, « Bravo Moïse[ix] ! ».

Moïse a reçu l’adoubement de Dieu. Moïse a prouvé au peuple, soulagé et vivant, qu’il est bien le Prince tant espéré.

La dimension royale de Moïse est née.

Moïse, l’associé de Dieu

« [Le Prince] doit s’étudier à faire paraître dans toutes ses actions, de la grandeur, de la gravité, du courage et de la force. Il doit, de plus, rendre tous ses arrêts irrévocables, à l’égard de ce qui arrive entre les particuliers, et acquérir la réputation de ne pouvoir changer de sentiment. Quand un Prince a donné cette opinion de lui-même, il est bien établi et il est au-dessus des attentats de ses voisins et ses sujets, chacun sachant qu’il a du mérite et qu’il est respecté chez lui. » (Machiavel, Le Prince, chapitre 19).

Fort de cette confiance, Dieu propose alors à Moïse de s’associer à Lui dans l’écriture des deuxièmes Tables de la Loi : « le Seigneur dit à Moïse : Taille toi-même deux tables de pierre semblables aux précédentes ; et je graverai sur ces tables les paroles qui étaient sur les premières tables, que tu as brisées » (Ex. 34, 1).

Ibn Ezra commente ainsi ce passage : « les premières furent créées par Dieu et les secondes furent taillées par Moïse dans la pierre, issue de la nature. Ainsi, l’œuvre de Moïse est supérieure à l’œuvre divine (dans la mesure où elle associe le spirituel et le matériel) ».

Les premières Tables de la Loi, d’origine divine et donc parfaites, ne pouvaient convenir aux hommes[x]. En les détruisant puis en participant à leur réécriture, Moïse n’est plus porte-parole ou médiateur de Dieu, il acquiert une nouvelle dimension, il devient l’associé de Dieu.

Les deuxièmes Tables de la Loi, en étant imparfaites, deviennent humaines et accessibles au peuple. La Loi peut désormais demeurer parmi les hommes. Moïse, en participant à leur rédaction, obtient la légitimité du pouvoir législatif des mains de Dieu Lui-même.

Moïse détient désormais les 3 pouvoirs politiques : les pouvoirs judiciaire, exécutif et législatif. Il est approuvé par Dieu et par le peuple. Le prince Moïse peut maintenant accomplir la 2ème partie du programme divin : l’installation en Terre de Canaan : « Et maintenant, va ! Conduis ce peuple où je t’ai dit » (Ex. 32, 34).

Dieu, metteur en scène du rôle de Moïse

C’est en tout cas ce que suggère la mise en scène choisie par le rédacteur de cet épisode. Nous l’avions évoqué précédemment, ce récit n’est pas linéaire puisque nous suivons 2 épisodes en parallèle : celui qui se déroule en haut du Sinaï et, en même temps, celui qui se déroule en bas de la montagne.

Dans ces 2 récits, la temporalité est différente. Si la première scène s’étale sur 2 jours, la deuxième scène, elle, ne dure que quelques minutes. Et, si nous avions été étonnés du rapide apaisement de la colère divine, nous pouvons également être surpris du temps mis par Dieu pour se mettre en colère. Dieu a évidemment vu la réalisation du veau d’or depuis la veille. Il aurait donc attendu les réjouissances et les sacrifices du lendemain pour, brutalement, se mettre en colère ? La faute du veau d’or n’était-elle pas déjà suffisante pour justifier Sa colère ?

Tout cela ne s’explique que si l’on admet qu’il y a eu une reconstruction a posteriori de l’événement. En effet, il est impossible pour un observateur humain d’être en même temps en haut de la montagne et en bas. Il est impossible pour un observateur racontant le récit en temps réel de savoir que les Tables de la loi vont être détruites et donc de faire le choix a priori de mettre l’accent dessus. Il y a donc eu une réécriture de l’événement pour le recréer tel qu’il est écrit dans la Torah et transmettre le message que nous avons énoncé précédemment.

L’objectif du rédacteur de cet épisode n’est pas de raconter un récit historique mais de créer un mythe pour l’humanité. Il s’agit de raconter comment Moïse est devenu le Prince du peuple hébreu, et comment Dieu, acteur principal de la libération du Peuple, a laissé Moïse accomplir la suite de l’Histoire[xi].

Et qui est ce rédacteur, omniscient, présent à la fois en haut et en bas, et pour qui le temps n’a pas d’importance ? C’est Dieu.

Dieu, en rédigeant ce texte, met en scène l’outrage du peuple à Son égard et Sa colère. Sa colère tardive et Son brutal apaisement font partie du scénario permettant la transmission des pouvoirs à Moïse qui va pouvoir entrer dans son nouveau rôle. C’est désormais Moïse qui est au centre, qui attire lumières et caméra. La scène de la brisure des Tables est orchestrée par Dieu pour valoriser Moïse et construire le mythe de Moïse, souverain majestueux du Peuple hébreu, qui va le guider en terre promise.

L’échec de Moïse

« Ce qui expose un Prince au mépris des peuples, c’est lorsqu’il passe pour […] irrésolu » (Machiavel, Le Prince, chapitre 19).

Mais nous le savons bien, Moïse est fragile[xii]. Il ne réussira pas à aller au bout de sa mission. Car, s’il a réussi à prouver, ici, qu’il était capable de prendre l’initiative décisive, plus tard, au moment de l’épisode des Explorateurs, il n’arrivera pas à gérer la rébellion : « Moïse et Aaron tombèrent sur leur face devant toute l’assemblée réunie des enfants d’Israël » (Nb 14, 5).

Pas plus d’ailleurs qu’au moment de l’épisode des cailles : « […] Où trouverais-je de la viande pour tout ce peuple […] Je ne puis, moi, seul, porter tout ce peuple : c’est un faix trop pesant pour moi. Si tu me destines à un tel sort, ah ! je t’en prie, fais-moi plutôt mourir […] et que je n’aie plus cette misère en perspective » (Nb 11, 11-15).

Ou encore lors de la révolte de Korah (Nb 16) où Moïse aura besoin de l’aide divine pour gérer une situation qui le dépasse.

Malgré la mise en scène grandiose de la brisure des Tables de la Loi, les faits sont têtus : Moïse est l’anti-prince de Machiavel[xiii].

Et, la Bible, utilisant les mêmes ressorts scénaristiques que nous propose encore aujourd’hui le cinéma, fait intervenir de façon quasi-subliminale Josué (« Des cris de guerre au camp ! »). Nous l’avions découvert lors de la bataille contre Amalec (Ex. 17, 9-14), nous le retrouverons, plus tard, lorsque Eldad et Médad prophétiseront dans le camp : « Mon Maître Moïse, empêche-les ! » (Nb 11, 28). Il s’émancipera à l’épisode des Explorateurs en défendant avec force la Terre de Canaan (« ce pays est excellent ») devant un Moïse abattu et plus tard, déchu.

Ce sera lui, Josué, le nouveau « Prince », qui fera entrer le Peuple hébreu en Terre promise.

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Merci à Philippe Aim, Noémie Benchimol et Noé Débré pour leur aide précieuse dans l’élaboration de ce commentaire.

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Notes:

[i] Les anthropomorphismes sont présentés uniquement à visée didactique.

[ii] Je ne résiste pas au plaisir de vous faire partager ce magnifique commentaire extrait de Brèves Leçons Bibliques de Yeshayahou Leibowitz :

L’affaire du Veau d’or et ce qui s’en suivit comporte un autre enseignement majeur. Descendant de la montagne et devant le spectacle que ses yeux découvrent, Moïse brisa les deux Tables de la Loi. Si le terme de sainteté (que tant de gens aujourd’hui galvaudent pour désigner des intérêts, besoins et réalisations strictement humains, que l’on rapporte au peuple, à la terre ou à l’Etat, etc.), si donc ce terme a quelque sens quand il se rapporte à la réalité humaine, à fortiori a-t-il quelque valeur concernant ces Tables « œuvre de Dieu sur lesquelles l’écriture divine se trouve gravée ». Moïse pourtant les brisa quand il découvrit le comportement du peuple.

Le temps me manque pour développer l’extraordinaire signification de cet épisode. Je me contenterai de citer le commentaire d’un des derniers grands maîtres, R. Meïr Simh’a Hacohen de Dvinsk qui fut, selon moi, un des rares penseurs religieux ayant développé dans le monde rabbinique des dernières générations une conception profonde de la foi :

« La Torah et la foi sont les principaux aspects de la foi juive, et toutes les autres saintetés – la terre d’Israël, Jérusalem et le Temple – ne sont que des détails et des corollaires de la Torah qui les a sanctifiés par sa sainteté. Il n’existe donc pas de différences ni dans le temps ni dans l’espace pour toutes les questions que pose la Torah, et elle s’applique de la même manière, que ce soit sur la terre d’Israël ou à l’étranger… Ne croyez pas que le Sanctuaire et le Temple soient des objets saints en eux-mêmes. A Dieu ne plaise ! Dieu habite parmi Ses enfants, et s’ils ont comme Adam violé l’alliance, toute sainteté est ôtée à ses objets qui deviennent profanes, de la même manière qu’ils auraient été désacralisés par des malfaiteurs…

Même les Tables de la Loi portant l’écriture de Dieu ne sont pas saintes en elles-mêmes, mais seulement par ce fait que vous les observez. Quand la mariée s’est prostituée sous le dais nuptial [propos cinglant que le Midrach emploie à propos du Veau d’or construit immédiatement après la révélation du Sinaï] elles [les Tables] furent considérées comme de la vulgaire poterie, car elles ne comportent pas de sainteté en elles-mêmes et ne deviennent sacrées que si vous les observez. En conclusion, [les mots qui suivent mériteraient aujourd’hui d’être écrits en très gros caractères] il n’y a rien dans le monde qui soit saint… il n’y a que le Nom de Dieu qui soit saint… car il n’y a pas dans la création de sainteté en soi, si ce n’est l’observance de la Torah, conformément à la volonté de l’Eternel… Toutes les saintetés ne découlent que des commandements du Créateur à le servir. »

[iii] Moïse est formé à sa mission de futur chef politique du Peuple Hébreu tout au long du texte de l’Exode. Ainsi, à l’épisode du buisson ardent, lors de leur première discussion, Dieu dit à Moïse, novice : « Je te délègue vers Pharaon » (Ex. 3, 10), « je seconderai ta parole, et j’inspirerai ce que tu devras dire » (Ex. 4, 12). Moïse ne s’adresse à Pharaon qu’au nom de Dieu : « tu diras tout ce que je t’ai ordonné » (Ex. 7, 2).

Puis, après la sortie d’Egypte, Moïse doit prendre, seul, des initiatives. Dieu envoie les enfants d’Israël face à la mer des Joncs. Il prévient Moïse qu’Il usera de Sa force pour détruire Pharaon. Sans autres détails. Bloqué par la mer et apercevant les Egyptiens qui approchent, Moïse rassure le peuple et attend l’intervention divine. Selon Rachi, il prie (Ex 14, 15). Dieu s’énerve : « Pourquoi m’implores-tu ? Ordonne aux enfants d’Israël de se mettre en marche ». Dieu reproche donc à Moïse de n’avoir pris aucune initiative (se mettre en position et combattre Pharaon qui sera défait grâce à l’aide divine ? S’élancer face à la mer ?).

Et enfin, notre passage, où Moïse s’émancipe enfin (avec les félicitations divine).

[iv] Notons que Dieu a utilisé ce terme (elohim) à propos de Moïse pour la première fois : « [Aaron] parlera pour toi au peuple ; de sorte qu’il sera pour toi un organe, et que tu seras pour lui un inspirateur (elohim) » (Ex. 4, 16) et « Regarde ! Je fais de toi un dieu (elohim) à l’égard de Pharaon et Aaron ton frère sera ton prophète » (Ex. 7, 1). Rachi expliquera que, dans ce contexte, le terme elohim signifie (la première fois) « un maître et un conseiller » et (la deuxième fois) « un juge qui châtie » ; prophète signifiant « un interprète ». Nous avons donc déjà été préparés à ce transfert de la fonction de Moïse par l’utilisation du champ lexical divin, dans un contexte où il n’y avait pas de place au doute.

[v] Cours sur les 2èmes Tables de la Loi (disponible ici : http://manitou.over-blog.com/article-hoshana-raba-les-deuxiemes-tables-de-la-loi-3eme-partie-37232366.html)

[vi] Un psychanalyste se plairait à dire qu’ici, Moïse a tué le Père.

[vii] A propos du rôle des Lévites : le peuple ne voulait pas remplacer Dieu, ni le culte divin. C’était seulement l’absence de Moïse qui posait problème et qu’il avait besoin de substituer. Le peuple avait conscience que seul Aaron (le Grand-Prêtre) pouvait diriger le culte et les sacrifices. C’est la raison pour laquelle les enfants d’Israël feront appel à Aaron pour construire le veau d’or. Cependant, l’organisation du culte ne pouvait fonctionner sans la présence des Lévites, les serviteurs du Temple.
Il est intéressant de constater que ce sont les Lévites qui ont répondu présent à l’appel de Moïse. Ce sont les Lévites qui ont proclamé allégeance à Dieu. Ce sont les Lévites qui ont maté la rébellion.
Le culte divin reposant sur le veau d’or mais privé des Lévites n’est plus rien car la sanctification du nom de Dieu ne repose que sur les hommes qui Le sanctifient et non pas sur les objets qui permettent de réaliser le culte (cf. note ii).

[viii] Cette formule peut être lue comme une réplique à la sentence divine énoncée au moment de la vision du veau d’or lorsque Dieu voulait anéantir tout le peuple et le recréer à partir de la lignée de Moïse (« tandis que je ferai de toi un grand peuple », Ex. 32, 10).

[ix] On retrouve cette même approbation divine dans le Talmud (traité Chabat 87a) : « Moïse prit l’initiative de trois choses et le Saint, Béni-soit-Il, fut d’accord avec lui : il ajouta un jour supplémentaire (pour qu’Israël se prépare à recevoir la Tora), il se sépara de sa femme (pour recevoir à n’importe quel moment la parole divine), et il brisa les tables […]. D’où savons-nous que le Saint, Béni-soit-Il, agréa son geste ? Car il est dit (Ex. 34) « les tables que tu as brisées ». Rech Lakich commente : (que Dieu lui a dit) : « Bravo de les avoir brisées » ».

[x] Déjà Adam, premier homme créé, n’a pu s’empêcher de corrompre la perfection de la création en transgressant l’unique règle qu’il a reçue.

[xi] Dans ce passage, Dieu ne se met plus au premier plan comme libérateur du peuple hébreu d’Egypte. Dans les 10 Commandements, Dieu dit : « Je suis l’Eternel, ton Dieu, qui t’ai fait sortir d’Egypte » (Ex. 20, 2) et, dans notre passage, c’est Moïse le libérateur : « Alors L’Eternel dit à Moïse : Va descends, car on a perverti ton peuple que tu as tiré du pays d’Egypte ».
Nous pouvons le lire comme une passation des pouvoirs entre Dieu et Moïse. C’est d’ailleurs ce que demandait Dieu à Moïse lors de leur première rencontre, à l’épisode du buisson ardent, où Il lui demandait d’être le libérateur : « fais que mon peuple, les enfants d’Israël, sorte d’Egypte » (Ex 3, 10).

[xii] Dans le couple Dieu – Moïse, Dieu est Celui qui prend les décisions, qui se met en colère et qui punit. Dieu représente la figure paternelle. Dans la prière, nous l’appelons « Avinou Malkénou » (Notre Père, Notre Roi).
Moïse, au contraire, est doux. Il est celui qui intercède sans cesse auprès de Dieu en faveur du peuple. Il se rapproche davantage de la figure maternelle. Vous pouvez lire le « Moïse fragile » de JC Attias (2015) qui reprend ce thème d’un Moïse vulnérable, presque féminin, loin des clichés virils qu’on a l’habitude de nous présenter.

[xiii] Je vous livre une dernière réflexion : Un bras-droit est une personne fiable, de confiance, sans faille, capable de prendre des décisions même si elles ne sont pas celles que le manager aurait prises. Moïse, bras-droit de Dieu, est fragile. La question qui se pose, en lisant tous les passages où Moïse fait appel à Dieu pour gérer une situation qu’il n’a pu manager seul, est : où sont les reproches de Dieu à Moïse ?

Dieu ne se prive pas de laisser éclater Sa colère contre le Peuple dès qu’il se révolte. Alors, Moïse, qui semble dépassé par les conflits internes et qui appelle Dieu immédiatement sans tenter de les gérer, ne mérite-t-il pas d’être sermonné lui aussi ?
Pourrait-on imaginer que Dieu ait perdu confiance en Moïse très tôt ? Il aurait donc attendu l’épisode des Eaux de Mériba (quand Moïse frappe le rocher au lieu de lui parler – Nb 11) pour prétexter une faute et annoncer à Moïse qu’il ne pourra pas conduire le peuple Hébreu en terre de Canaan ?

Ou bien, pourrait-on imaginer que Dieu, en dictant la Torah, adoucisse les reproches qu’Il avait contre Moïse et omette délibérément ces passages où il n’apparait pas à son avantage ?

Ou bien, pourrait-on imaginer que les colères divines ne sont pas destinées au peuple, mais à Moïse ?

Cet article La brisure des Tables ou la naissance du Prince Moïse est apparu en premier sur Le blog Modern Orthodox- Renouveau Juif התחדשות יהודית.

Du temple au roi et vice-versa!

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Le Blog Modern Orthodox est heureux de continuer son projet « parashat hashavoua » qui propose des commentaires de la écrits par des intellectuel/le/s de différents horizons. Cette semaine, Bitya Rozen-Goldberg commente la parashat “Vayakel”. 

D’aussi loin qu’elle s’en souvienne,  Bitya Rozen-Goldberg a toujours aimé étudier, apprendre et raconter. Elle est diplômée de la Sorbonne en Histoire ancienne, et travaille comme guide touristique depuis 8 ans. Ancienne étudiante de Midreshet Lindenbaum et de Beit Morasha, elle étudie au Kollel de Pardès depuis 3 ans. Bitya, Raphaël et leurs trois enfants habitent Jérusalem. On peut les croiser le shabbat au partnership minyan de Bakaa, Hakel.

Un groupe de nomades sillonnant le désert se conçoit une identité collective. Il se choisit une divinité, le dieu se révèle, le dieu transmet sa loi, il faut un temple pour ce dieu.

Cinq parashiot (16 chapitres) seront nécessaires pour décrire la construction du sanctuaire – le Mishkan, point d’orgue du processus de formation tribale/sociale engagé avec la sortie d’Egypte. Sanctuaire censé clore et signer la transformation d’un assemblage humain hétéroclite en peuple.

Le récit de la construction est divisé en cinq étapes. Dieu transmet d’abord sa volonté à Moïse (chap. 25 à 31,17), puis le récit s’interrompt sur l’obstination du groupe à représenter son dieu sous les traits d’un veau (chap. 31, 18 à 34).  L’affaire résolue, le récit reprend son cours et Moïse transmet ses ordres au peuple (chap. 35,1 à 35, 19). Suivent la mise en œuvre (chap. 35, 20 à 39) et enfin l’inauguration du sanctuaire et la conclusion du récit (chap. 40). Fin du livre de Shemot.

Notre section s’ouvre à la troisième étape : après une très longue phase de conception, le temps de la réalisation est venu.

I) Quelle ardeur, quel enthousiasme !

וַיָּבֹאוּ כָּל אִישׁ אֲשֶׁר נְשָׂאוֹ לִבּוֹ וְכֹל אֲשֶׁר נָדְבָה רוּחוֹ אֹתוֹ הֵבִיאוּ אֶת תְּרוּמַת יְהוָה לִמְלֶאכֶת אֹהֶל מוֹעֵד וּלְכָל עֲבֹדָתוֹ וּלְבִגְדֵי הַקֹּדֶשׁ. […]. וְכָל אִשָּׁה חַכְמַת לֵב בְּיָדֶיהָ טָווּ וַיָּבִיאוּ מַטְוֶה אֶת הַתְּכֵלֶת וְאֶת הָאַרְגָּמָן אֶת תּוֹלַעַת הַשָּׁנִי וְאֶת הַשֵּׁשׁ. וְכָל הַנָּשִׁים אֲשֶׁר נָשָׂא לִבָּן אֹתָנָה בְּחָכְמָה טָווּ אֶת הָעִזִּים. וְהַנְּשִׂאִם הֵבִיאוּ אֵת אַבְנֵי הַשֹּׁהַם וְאֵת אַבְנֵי הַמִּלֻּאִים לָאֵפוֹד וְלַחֹשֶׁן[…]. כָּל אִישׁ וְאִשָּׁה אֲשֶׁר נָדַב לִבָּם אֹתָם לְהָבִיא לְכָל הַמְּלָאכָה אֲשֶׁר צִוָּה יְהוָה לַעֲשׂוֹת בְּיַד מֹשֶׁה הֵבִיאוּ בְנֵי יִשְׂרָאֵל נְדָבָה לַיהוָה.

Ensuite tous les gens au cœur et à l’esprit généreux vinrent apporter à l’Eternel leur contribution pour l’édification de la tente d’assignation, pour le culte et la confection des vêtements sacrés […] Des femmes habiles apportèrent de la laine bleue, violette, rouge ou blanche qu’elles avaient filée de leurs propres mains. D’autres femmes au savoir-faire et qui avaient du goût pour cela filèrent de la laine de chèvre. Les chefs apportèrent les pierres de cornaline et les autres pierres précieuses pour l’éfod et le pectoral […] Chaque homme ou femme au cœur généreux, apportèrent ainsi leur contribution volontaire à l’Eternel, pour la réalisation des travaux que l’Eternel avait ordonnés à Moïse. Les enfants d’Israël en firent l’hommage spontané à l’Éternel.

La phase préparatoire du chantier consiste à rassembler bois, toiles, métaux, pierres et peaux. Vayakel commence par le tableau festif de la « journée du don ». Le texte aurait pu se réduire à une courte description, mais il choisit de décrire les donations et la participation des gens dans leurs moindres détails (du chapitre 35, 4 à 36, 8).

On s’aperçoit que le texte répète à l’envi un certain nombre de mots et d’expressions[1], la racine « apporter – להביא» (14 fois), le mot « donation -תרומה  » (7 fois), la racine « offrir – נדב » (6 fois) déclinée trois fois en l’expression singulière « au cœur généreux – נדיב לב». Ces termes créent le sentiment chez le lecteur que le peuple contribue de façon spontanée, dans un empressement enthousiaste ; élan donateur doublé d’une participation active puisqu’en parallèle on retrouve tout un lexique du savoir-faire et de la fabrication : « habile ou talentueux – חכם לב » (7 fois), la racine « faire – עשה » (16 fois), le « travail – מלאכה » (17 fois)…

La largesse et le désir de s’impliquer animent toutes les couches de la population : les femmes et les hommes, les riches et les pauvres. Toute personne ayant quelque chose à donner l’offre, au point que Moïse fait savoir que trop de choses ont été apportées et qu’il faut s’arrêter.

Quiconque ayant un savoir-faire participe. On imagine presque un groupe d’ouvrières dans un village de Russie des années 20 ou une bande de joyeux kibbutzniks construisant avec entrain leur salle commune à la veille de la première assemblée générale.

Dans un élan de grâce collectif, le peuple construit son sanctuaire. Un sanctuaire pliable et portatif fait de bois et tentures, œuvre de toutes et tous, jamais fixe, potentiellement en mouvement (40,36) comme la métaphore de l’identité à laquelle aspire le groupe[2] et de celle du dieu qu’il s’est choisi.

 

Il y a comme un parfum d’aspiration collective et antihiérarchique.

II) L’ordre d’abord.

Et pourtant, quand on s’attache aux types de matériaux, au plan et à l’agencement du sanctuaire, tout dit ordre, hiérarchie, pouvoir et discipline.

L’usage des métaux par exemple, le cuivre, l’argent et l’or dans leur ordre d’importance pour le récit. Matières moins nobles en bas, plus nobles en haut ; Matières moins nobles à l’extérieur, plus nobles à l’intérieur.

Le regard du visiteur entrant dans la cour remarque que les colonnes de l’enceinte extérieure sont faites d’argent sur une base de cuivre, mais que les colonnes portant la tente située au cœur de la cour sont faites d’or sur une base d’argent. Et le phénomène continue, les objets de la cour, extérieurs, sont plaqués de cuivre (מזבח הנחושת) et ceux de la tente, à l’intérieur, sont recouverts d’or (מזבח הקטורת).

L’organisation ultra hiérarchique de notre petit groupe en est un autre exemple. Moïse en chef suprême, Bezalel et Aoliav en grands ordonnateurs de travaux publics, puis les princes et le peuple, enfin.

III)  Récits de construction et merci à A. Horowitz[3] !

En replaçant ces deux chapitres dans leur contexte, c’est-à-dire dans l’unité narrative[4] des 5 dernières sections du livre de Shemot, je veux montrer que le récit conçoit la construction du sanctuaire comme une marque de puissance et de légitimité royale. Je vous accorde que l’idée est intuitive et triviale : pour construire un sanctuaire il faut être fort et riche. Lequel temple va donc à priori exprimer, justifier ou renforcer une hiérarchie sociale, à la tête de laquelle on peut trouver une prêtresse, un général, une reine ou un prince (d’après Walt Disney et Avidan Kogel).

Horowitz montre que le récit de la construction du Mishkan du livre de Shemot respecte un schéma narratif connu qu’on retrouve dans d’autres récits de construction, dans le tanakh mais surtout dans les inscriptions des constructions royales assyriennes et babyloniennes.

De manière générale on retrouve dans ces récits cinq étapes :

  • la décision ou l’autorisation divine de construire un temple,
  • le rassemblement des matériaux et des ouvriers,
  • la construction et la description de l’édifice,
  • une cérémonie inauguratrice,
  • une prière ou une bénédiction au constructeur.

Toute ressemblance avec la structure littéraire des 5 dernières parashiot du livre de Shemot proposée plus haut est totalement préméditée.

Parmi ces textes de Mésopotamie (probable origine géographique du genre) il y en a certains qui intègrent au récit un élément déconnecté de la construction. Cet élément vient interrompre le récit entre l’étape 1 (décision de construire) et l’étape 2 (préparation du matériel) et mentionne (devinez quoi ?) une révolte ainsi que sa répression et/ou le retour à l’ordre.

Une de ces épigraphies est la stèle de Nabonide[5], dernier roi de l’empire (néo)babylonien à la fin du 6è siècle avant notre ère. Dans un songe, le dieu Marduk se révèle à Nabonide et lui dit «Ehulhul, le temple de Sin à Haran, construis sans délai ! ». Mais au lieu des préparatifs attendus, la construction est repoussée de dix ans et le texte rapporte le fait d’une révolte religieuse qui oblige le roi à s’enfuir au Yemen. Au bout de dix ans, le roi revient à Babylone, la population accepte le culte de Sin et la construction du temple commence.

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Cylindre de Nabonide de Sippar, British Museum
 

Tout y est : l’ordre divin de construire, la révolte, le retour à l’ordre, la construction. Et là, comme dans d’autres stèles (celle de Samsu-iluna par exemple, 18è siècle avant notre ère) la trame narrative tient du topos. Surtout quand des écrits parallèles indiquent une autre chronologie des évènements.

Le schéma du récit de construction n’est pas forcément la transcription chronologique de faits et gestes.  C’est un moule narratif dans lequel l’auteur choisit d’exposer les évènements. Et quel est le but d’un récit de construction de sanctuaire autour d’un évènement de révolte ? Présenter le dirigeant comme celui qui a réussi à surmonter les obstacles pour réaliser ce à quoi il était désigné. La volonté divine est accomplie et le roi renforcé.

Dans le récit de la construction du Mishkan, le roi c’est Moïse: il a su mater la révolte religieuse pour réaliser la mission divine. C’est lui qui initie, planifie, celui qui tient les comptes (38, 24-39, 1), qui vérifie les travaux (39,33) et qui offrira plus tard, à l’image des rois babyloniens, les premières offrandes (40,27-29).

En liant le récit de construction à celui du veau d’or, le rédacteur réussit à donner au personnage de Moïse une dimension comparable à celle des rois babyloniens. Le sanctuaire (et par ricochet la relation à la divinité) est symbole du pouvoir, affaire d’une poignée d’élu/es lié/es d’une manière ou d’une autre à la famille royale. Le temple est l’émanation d’une société hiérarchisée, et la proximité ou la ressemblance entre la demeure du dieu et celle du roi donne la mesure du pouvoir terrestre. Cette description vaut pour la quasi-totalité des sanctuaires du proche orient antique.

IV) Temple royal

Le récit de la construction du temple de Salomon (Rois 1, chap.5-9) est peut être celui du tanakh qui incarne le plus clairement ce « temple royal ». Un temple conçu sur décision du roi, presque comme une étape préliminaire à la construction de son propre palais. Marque de la poigne du roi sur ses sujets, centre des intrigues de cour, maison d’apparat encadrant l’activité diplomatique, le temple du roi Salomon est tout sauf un endroit destiné à la collectivité (9,25).

Le rituel synagogal nous invite à lier le récit de construction du Mishkan à celui de la construction du temple de Salomon[6]. On pourrait faire une passionnante comparaison de fond mais je veux juste relever quelques similitudes.

D’abord sur le plan du langage avec l’usage d’expressions rares «חָכְמָה וּתְבוּנָה בָּהֵמָּה לָדַעַת  habileté jugement et science » attribuées aux figures des constructeurs dans les deux récits, Bezalel et Aoliav et Hiram de Tyr. Ou des descriptions quasi identiques, par exemple de l’inauguration des deux temples[7]. Pour moi, et pour d’autres, il est clair que les textes se « connaissent » et s’écrivent ou s’éditent l’un en regard de l’autre.

Ensuite sur le rôle du roi initiant (5,17), vérifiant les comptes (7,47ou 9,11), réunissant les objets de culte (7, 51), sacrifiant pour la première fois (8,5).

Et enfin, sur la structure du récit qui, on pouvait s’y attendre, est identique. Sauf deux éléments :

– dans le récit de la fondation du temple par Salomon, la révélation divine et l’ordre de construction ne lui sont pas donnés en personne, mais à son père David.

– la révolte, qui a bien lieu, ne se produit pas au milieu du processus de construction mais à sa toute fin.

Pourquoi ?

La première raison c’est que le rédacteur n’utilise pas la révolte pour renforcer le pouvoir du roi mais pour montrer la déchéance de la dynastie royale. Hors des murs protecteurs du récit de construction du temple, la révolte est beaucoup plus menaçante.

La deuxième raison est celle du récit : pour construire son temple et tout un tas d’autres chantiers, Salomon a imposé des taxes très lourdes (9,14-15), des travaux forcés (9,20-21) et des obligations de corvées (5,27-28 ou 11,28). Le tout, régi par une armée de contrôleurs et de contremaitres (9,53). Quand Salomon est remplacé par son fils Jéroboam et que ce dernier jouant au plus malin[8], promet de lever des impôts encore plus élevés que ceux de son père, le peuple se révolte : c’est ce qu’on appelle le schisme du royaume d’Israël.

La construction du temple, présentée dans le récit comme l’apogée du règne de Salomon, est aussi le moteur de sa déchéance.

Si l’on revient à la comparaison entre le Mishkan et le temple de Salomon, je soutiens que l’image des sanctuaires qui s’en dégage est finalement très semblable. Dans les deux récits, le sanctuaire est un organe et un outil du pouvoir. Il est plausible que la description du  financement du temple de Salomon ne soit pas tellement éloignée de la réalité du peuple, forcé sur ordre du roi, de payer et de prêter main forte au projet royal.

C’est le récit de notre parasha, qui choisit d’y intégrer une dimension collective et spontanée, qui est surprenant. Je suggère que les deux chapitres de notre parasha décrivant dans les moindres détails la part volontaire du peuple relèvent d’un choix d’écriture qui tient de l’alibi. Un alibi à double fonction : justifier la construction du sanctuaire (si tout le monde le veut, ça ne peut qu’être bien !), et renforcer la légitimité de la classe dirigeante, celle de Moïse et celle de la dynastie des prêtres, sa famille de sang ou de fonction.

Et pour vous en convaincre, je vous propose de jeter un coup d’œil au livre de Vaykra!

Notes:

[1] S.Rimon fait une analyse du texte très poussée פרשת ויקהל – נדיבות הלב וחכמת הלב במלאכת המשכן, שרון רימון

[2] A ma connaissance les sociétés nomades du proche orient antique n’ont pas de temples portatifs. Au contraire, à l’image des patriarches ceux qui transhument ont toujours eu des sanctuaires fixes, des grottes, des caveaux, des arbres (אשל אברהם, האלה בשכם), des stèles dressées. On y revient de manière cyclique, plusieurs fois par an ou juste de temps en temps, comme Yaakov à בית אל, comme plus tard les nabatéens dans le Neguev qui des années durant reviendront graver les traces de leur passage et de leur culte aux même endroits exactement.

[3] אביגדור הורוויץ, בניית בתי מקדש במקרא לאור כתבים מסופוטמיים ושמיים צפון מערביים, עבודת דוקטור, האוניברסיטה העברית בירושלים, תשמ »ג.

[4] Certains diront que le récit de la construction du Mishkan et l’épisode de la faute du veau d’or ne proviennent pas des mêmes sources et, se trouvant côte à côte sans véritable raison, on ne peut pas parler d’unité textuelle. Même si c’est le cas, je pense qu’il est assez simple de montrer qu’une couche rédactionnelle postérieure lie très fortement les deux épisodes, au point d’intervenir dans le cœur des récits.

[5]אביגדור הורוויץ, העגל והמשכן, שנתון לחקר המקרא והמזרח הקדום, 1984 גליון ז-ח.

[6] Trois des cinq haftarot lues en regard des dernières parashiot du livre de Shemot sont  des passages du récit de la construction du temple de Salomon.

[7] Alors la nuée enveloppa la Tente d’assignation et la majesté du Seigneur remplit le Tabernacle. Et Moïse ne put pénétrer dans la Tente d’assignation, parce que la nuée reposait au sommet et que la majesté divine remplissait le Tabernacle. (Shemot 40,34-35)

Une nuée s’étendit dans la maison du Seigneur, et les prêtres ne purent s’y tenir pour faire leur service, parce que la majesté divine remplissait la maison du Seigneur. (Rois 8,10-11)

[8] Mon père a fait peser le joug sur vous, moi je le rendrai encore plus lourd; mon père vous a châtiés avec des verges, moi je vous châtierai avec des scorpions. (Rois 1, 12,14)

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Réponse à Rav Ron Chaya – la Torah appartient à chaque juif et juive

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MAJ: 05/04/2016

La couronne de la Torah est posée et se tient disponible pour tout Israël […], celui qui la désire viendra et s’en saisira” (Maimonïde, Mishné Torah, hilchot talmoud torah 3:1)

Il y a quelques jours, plusieurs internautes m’ont fait parvenir une réponse (cliquez ici pour la voir) du Rav Ron Chaya concernant l’affaire des « femmes du Mur », ce groupe de femmes se réunissant au Kotel chaque Rosh Hodesh pour prier ensemble, certaines portant talit et téfilines. En plus de ses nombreuses inexactitudes et erreurs halakhiques, Rav Chaya se livre à une attaque gratuite des mouvements du judaïsme qu’il considère comme illégitimes, au nombre desquels il inclut le monde orthodoxe moderne. 

Précisons que dans le présent billet, je n’exprime pas mon opinion personnelle quant à la possibilité ou non de porter les téfilines pour une femme, je cherche uniquement à montrer que l’opinion de Rav Chaya est loin de représenter la loi orale toute entière, comme il le sous-entend. Si Rav Chaya s’était contenté de donner sa propre opinion, sans se livrer  à une attaque personnelle contre différents courants et à une présentation partiale du fonctionnement de la loi orale, je n’aurais pas réagi.

Une présentation orientée de la Halakha

Je ne doute pas un instant des connaissances de Rav Chaya et c’est pourquoi « l’oubli » de certaines références me paraît plus que surprenant.

a) La réponse de rav Chaya s’ouvre sur un verset de la Torah : «Ne t’écarte pas de la parole qu’ils te diront, ni à droite, ni à gauche»1. Par ce verset, Rav Chaya nous rappelle que nous sommes obligés  « d’écouter les juges de notre génération, c’est-à-dire les dirigeants spirituels de notre génération ».

Ce verset parle-t-il vraiment des dirigeants de notre génération ? Pour certains Rishonim, c’est bien le cas (Rashba, Sefer Hahinoukh) ; mais pour d’autres, ce verset ne concerne que le Grand Sanhedrin qui siégeait à Jérusalem. Tel est l’avis explicite du Rambam2, apparemment suivi par le Choulkhan Aroukh qui ne mentionne nulle part une telle obligation vis-à-vis des sages contemporains.

L’avis que le rav Chaya présente comme unanime n’est en fin de compte qu’un parmi d’autres ; mieux encore, ce n’est pas celui qui fut retenu par les plus grands décisionnaires.0

b) Rav Chaya nous parle de Michal Bat Kouchi qui, selon le Talmud3, portait les téfilines. Ce Kouchi serait « un illustre inconnu » selon Rav Chaya. Bien que cela ne change rien au fond du débat, j’ai du mal à croire que Rav Chaya puisse vraiment ignorer que, selon la plupart des commentateurs et selon Rashi lui-même4, ce Kouchi n’est nul autre que le roi Chaoul. Michal, fille du roi Chaoul et femme du roi David, mettait donc les téfilines et le Talmud nous enseigne à cet égard que « les Sages ne l’empêchèrent pas »…

c) Rav Chaya affirme à tort que cette anecdote au sujet de Michal n’est pas retenue par la Halakha. Comme je l’ai déjà dit, elle est retenue par le Rambam5, l’un des plus grands décisionnaires du judaïsme, suivi jusqu’à aujourd’hui par certaines communautés.

Rav Chaya a répondu que la halakha est tranché par le Choulkhan Aroukh…, mais que dit le Choulkhan Aroukh ? Rav Chaya écrit que « cela est totalement interdit, et ainsi tranche le Choul’han Aroukh, Ora’h ‘Haïm chapitre 38 alinéa 3 ».

Pourtant, rien de tel dans le Choulkan Aroukh… Au contraire, il écrit uniquement que « les femmes et les esclaves sont dispensés de téfilines, car il s’agit d’un commandement positif lié au temps »6Rien de nouveau ni d’original, les femmes sont dispensées de tous ces commandements mais peuvent les accomplir si elles le souhaitent. Certes, le Rema l’interdit mais le Rema n’est pas le Choulkan Aroukh et sa décision influe surtout sur les communautés ashkénazes7.

Je tiens encore à rajouter un point, pour éviter tout malentendu. Le Choulkhan Aroukh tranche que « les femmes et les esclaves sont dispensés de téfilines, car il s’agit d’un commandement positif lié au temps »8Dans le même ordre d’idées, il écrit que « les femmes sont dispensées de la lecture du Shema »9, « de l’écoute du Shofar »10, « et de la mitsva de Soucca »11car tous ces commandements sont des mitsvot positives et liées au temps. Cependant, le Talmud et tous les décisionnaires permettent aux gens dispensés d’un commandement de le faire à titre bénévole. Les femmes juives ont d’ailleurs l’habitude de se rendre à la synagogue pour écouter le Shofar et participent souvent à la mitsva de Soucca. Affirmer que cette dispense du Choulkhan Aroukh serait un interdit est tout simplement faux et reviendrait à dire que toutes les femmes pieuses se rendant à la synagogue à Rosh Hashanna commettent une transgression.

Au passage, notons que c’est justement de l’histoire de Michal Bat Kouchi que de nombreux décisionnaires apprennent qu’une femme peut accomplir les commandements dont elle est dispensée et réciter les bénédictions d’usage. Voir par exemple les propos de Rabeinou Tam12 ou ceux de Rashba13. Cette décision halakhique fait force de loi chez les communautés ashkénazes…

Voilà donc qu’une histoire prétendument « non retenue par la halakha » selon Rav Chaya est en fait considérée par un grand nombre de Rishonim comme source de loi ! Certains retiennent de ce cas qu’une femme peut porter des téfilines (Rambam, Choulkhan Aroukh, Rashba, …) d’autres retiennent qu’elle peut réciter des bénédictions pour les commandements dont elle est dispensée (Rabeinou Tam, Rashba, Rema, etc…).

Je voudrais encore rajouter un point : même l’avis interdisant aux femmes de porter les téfilines estime que l’interdit se base sur une raison extérieure ; c’est-à-dire que selon la loi orale, le principe général veut qu’une femme soit autorisée à porter les téfilines, mais qu’on l’empêcherait à cause d’un problème indépendant: le fait qu’elle n’ait pas un corps propre. Cet avis est celui du Maharam de Rotenbourg14, sur lequel se base le Rema pour interdire aux femmes de porter les téfilines.

Selon cette logique, la conclusion du Olat Tamid, un des commentaires classiques du Choulkhan Aroukh, s’impose d’elle-même : « mais si une femme est âgée et sait garder son corps, on ne lui interdira pas [de porter les téfilines] »15.

Les références sont encore nombreuses et variées, mais je crois que celles-ci devraient suffire à étayer mon reproche, à savoir le fait de sélectionner certaines références pour en faire l’avis unique de la loi orale. Je doute fort que quelqu’un ose dire du Rashba ou du Rambam qu’il ne représente pas la loi orale, à plus forte raison du Talmud, qui l’autorise explicitement. De plus, j’ai également prouvé que l’histoire de la fille de Kouchi est retenue par la halakha selon tous les décisionnaires, mêmes si certains interdisent aux femmes de porter les téfilines pour d’autres raisons.

d) Rav Chaya nous propose une liste d’exemples visant à prouver la contradiction interne qui existerait chez des femmes voulant porter les téfilines, car «D’un côté, elles écoutent ‘Hazal parce qu’elle porte (sic) des tefillin comme le dévoilent ‘Hazal dans le cadre de la loi orale (boîtes noires, sur le bras, les textes dévoilés par ‘Hazal), et d’un autre côté, elles portent des tefillin alors que ces mêmes ‘Hazal interdisent de porter des tefillin. »

L’argument est spécieux. Généralement, le nom « Hazal » fait allusion aux Sages du Talmud. Si c’est l’intention voulue par rav Chaya, alors il a clairement tort : ces femmes ne s’opposent en rien à Hazal, qui permettent explicitement aux femmes de porter les téfilines, comme nous l’avons vu. Et si l’intention du Rav était de faire allusion aux Sages des générations ultérieures, alors il est vrai que ces femmes s’opposent à l’avis d’une partie d’entre eux, mais elles suivent en réalité une autre partie et ont sur qui s’appuyer – comme prouvé précédemment. À l’inverse des exemples rapportés à contresens par Rav Chaya, les femmes portant des téfilines ne sont donc pas en rupture avec la loi orale. C’est d’ailleurs la conclusion pratique de Rav Eliezer Melamed, rav orthodoxe contemporain dont l’œuvre halakhique est suivie par une grande partie du monde sioniste-religieux, qui estime que ces femmes portant les tefilin ont sur qui s’appuyer et que les rabbins n’ont pas à les rejeter16.

Rejet et méconnaissance du monde juif

J’en viens au fait qui m’a poussé à écrire ce billet : la délégitimation de Rav Chaya de tout courant juif ne collant pas scrupuleusement à sa propre façon de voir les choses. Il écrit :

« Tous les mouvements (dont celui auquel certainement vous appartenez) qui ont remis en cause ne serait-ce qu’un yota de la loi orale ont, en quelques générations, soit disparu soit perdu leur identité de représentativité du peuple juif. Il y a eu plusieurs dizaines de mouvements de ce type durant l’histoire. Et vraiment absolument aucun d’entre eux n’a perduré. Soit ils ont tout simplement disparu, soit ils sont devenu des mouvements non reconnus comme représentatifs de la Torah d’Israël. Ce sera le cas pour les tsedokim, les baïtossim, les chrétiens, les karaïtes, les néologues, les réformistes, les reconstructionnistes, les conservatifs, les libéraux, les massortis, les moderne-orthodoxes, les dardaïm et j’en passe… Tous avaient comme point commun celui qu’ils ont avec vous : la non reconnaissance de la validité de la loi orale. »

a) Tout d’abord, je ne sais pas ce que Rav Chaya entend par « ils sont devenu des mouvements non reconnus comme représentatifs de la Torah d’Israël ». Représentatif aux yeux de qui ? De Dieu ? Des juifs ? Des non-juifs ? Ou, plus probablement, « représentatif » aux yeux du seul rav Ron Chaya lui-même ?

Pour ce qui est de Dieu, j’avoue ne pas connaître Ses pensées. Et, sous peine pour lui de tomber dans le grave péché d’orgueil qu’il se fait fort d’attribuer aux « femmes du Mur », Rav Chaya doit admettre les mêmes limitations.

Pour les deux catégories suivantes, il est clair que le judaïsme orthodoxe (avec lequel je m’identifie, soit dit en passant) est loin de représenter « la Torah d’Israël » aux yeux des juifs et non-juifs de la planète. La large majorité des juifs ne s’estime pas orthodoxe et les mouvements conservative et réformé comptent chacun plus d’adhérents de par le monde que le mouvement orthodoxe…

Comme Rav Chaya, je souhaiterais que le monde orthodoxe (dans sa diversité, du monde harédi aux orthodoxes modernes) puisse représenter la Torah d’Israël aux yeux du peuple juif. Mais je pense personnellement que si ce n’est pas le cas, c’est bien à cause de notre propre incapacité à présenter aux juifs non-orthodoxes un judaïsme à la fois strict et souriant, un judaïsme en accord avec les paroles du roi Shlomo : « ses chemins sont des chemins agréables et toutes ses voies sont paix » (Prov. 3:17). Plutôt que de combattre les autres courants, c’est sur ce programme que l’orthodoxie devrait axer ses efforts.

b) Les dardaïm. Il s’agit d’un courant yéménite aujourd’hui très minoritaire. Toutefois, les transformer en hérétiques me semble être une pure démonstration de haine gratuite ou d’ignorance.

Le fondateur du courant « dor déa », expression qui est à l’orgine du mot dardaï, était le Rav Yehia Kapach (19e siècle), un grand sage yéménite. Consterné par les pratiques superstitieuses et quasi-idolâtres de ses coreligionnaires, Rav Kapach voulu rehausser le judaïsme yéménite en revenant à l’étude de la philosophie juive et de Maïmonide, autrefois grand guide du judaïsme yéménite.

Cependant, Rav Kapach alla assez loin en considérant que l’ensemble de la littérature kabbaliste était interdite, voire idolâtre. Il est vrai que cette opinion extrêmement minoritaire a de quoi surprendre, mais qu’a-t-elle d’hérétique ? Certes, la Kabbala est acceptée par l’ensemble du peuple juif, mais celle-ci n’appartient en aucun cas aux 13 fondements de Maïmonide et celui qui la rejette ne peut être qualifié d’hérétique. Rav Chaya parle de « rejet de la loi orale », or les dardaïm basaient toute leur pratique juive sur le grand Maïmonide, un des piliers de la loi orale 17!

Nous savons pertinemment que de nombreux rishonim n’appréciaient pas la mystique juive, cela fait-il d’eux des hérétiques ? Maïmonide, Ibn Ezra, Ralbag et d’autres seraient-ils hérétiques ?

Rajoutons qu’au sujet des dardaïm, Rav Ovadia Yossef statue qu’ils ne sont en rien des hérétiques et qu’il est strictement interdit de détruire leurs synagogues18. Par ailleurs, il existe un échange épistolaire entre le Rav Kapach et Rav Avraham Kook, ce dernier qualifiant son interlocuteur de « Grand Rav, splendeur parmi les gens […], notre maître Rav Kapach »19. Difficile d’imaginer de tels titres attribués à un hérétique.

Rajoutons enfin que le petit-fils du fondateur de ce courant n’est autre que le grand Rav Yossef Kapach, qui fut dayan dans les tribunaux du grand rabbinat d’Israël, sous la présidence de Rav Ovadia Yossef. Il publia également la plupart des écrits du Rambam en se basant sur les manuscrits très précis transmis par son grand-père, sur lequel il ne tarissait pas d’éloges.

c) L’orthodoxie moderne. Dire de l’orthodoxie moderne qu’elle ne respecte pas la loi orale relève du mensonge le plus total. Rav Soloveitchik fut l’un des grands maîtres de l’orthodoxie moderne et la plupart de ses écrits tournent justement autour de la sainteté de la halakha ; le plus connu est son célèbre essai « L’homme de la Halakha», au titre évocateur.

Les grandes organisations de l’orthodoxie moderne sont l’Orthodox Union (OU) et le Rabbinical Council of America (RCA). L’OU dirige un label de kasherout reconnu internationalement et le RCA jouit d’une reconnaissance indiscutable, ses mariages, divorces et conversions étant reconnus par les rabbinats orthodoxes de par le monde (y compris le rabbinat français et le rabbinat israélien).

Une des plus grandes institutions orthodoxe moderne en Israël est la Yeshivat Har Etzion, où étudient des centaines d’élèves. Son séminaire rabbinique fonctionne en collaboration avec le rabbinat israélien et son dirigeant, Rav Lichtenstein (gendre de Rav Soloveitchik), est considéré comme un grand érudit. Il suffit de lui parler pour apprendre que les dirigeants orthodoxes américains comme Rav Moshé Fenstein, le Rabbi de Loubavitch ou Rav Kotler portaient un profond respect à Rav Soloveitchik et voyaient l’OU et le RCA comme des organisations totalement orthodoxes.

d) le mouvement conservative/massorti. Tout d’abord, il s’agit du même mouvement, ce que Rav Chaya semble ignorer. Deuxièmement, on peut trouver leurs opinions illégitimes mais on ne peut affirmer qu’ils rejettent la loi orale puisqu’eux-mêmes affirment le contraire.

Une lecture sérieuse de leurs textes montre que la loi orale est la base de leur judaïsme, même si leur vision de la halakha n’est pas celle de l’orthodoxie.

Notons que certains dirigeants du mouvement étaient considérés comme des talmidei hachamim aux yeux de nombreux dirigeants orthodoxes. Pour ne citer qu’un exemple, Saul Lieberman (qui dirigea le séminaire rabbinique du mouvement jusqu’à sa mort au début des années 80) était considéré comme un ilouï par son cousin le Hazon Ish, étudia en havrouta avec Rav Kook et se vit offrir un poste rabbinique par Rav Ytshaq Hutner. Jusqu’à la fin de sa vie, il entretenait de chaleureux échanges épistolaires avec les grands érudits du monde orthodoxe20.

e) Rav Chaya présente le monde orthodoxe comme étant la parfaite continuité du judaïsme, qui n’aurait pas bougé d’un iota depuis le don de la Torah. Je ne veux pas m’étendre sur ce point, mais cette vision romantique n’a évidemment aucun fondement historique. L’orthodoxie s’est créée en réaction à la réforme et ne consiste pas uniquement à respecter la loi orale, elle s’accompagne de toute une idéologie totalement nouvelle. Je recommande particulièrement le livre du Professeur Marc Shapiro, au sous-titre explicite: « How Orthodox Judaism Rewrites Its History » (Comment l’Orthodoxie ré-écrit son histoire?).

Des livres entiers ont déjà été écrits sur la question et l’intéressé les trouvera rapidement. Il suffit de réaliser qu’une loi aussi banale que le port des téfilines par des femmes est sujette à débat chez les rabbins du Moyen-âge pour comprendre que la loi orale n’est pas le bloc monolithique que Rav Chaya, à l’instar du monde harédi, veut nous présenter.

Conclusion

Dans ce court exposé, j’espère avoir mieux exprimé les raisons de mon mécontentement face à la réponse du Rav Chaya. Ainsi, son exposé repose sur une série d’arguments pour le moins contestables, et souvent erronés. Cela étant dit, comme le note le rav lui-même, l’erreur est humaine. Elle est pardonnable. Ce qui est vraiment irritant n’est pas là, mais dans l’image générale véhiculée, tel un message subliminal, par le texte de la réponse : « je suis le seul à avoir raison ; tous les autres ont tort. Je suis le seul, l’unique et l’authentique représentant de Dieu sur Terre. Tous les autres – des contrefaçons en trompe-l’œil ».

Au-delà des errements du texte de rav Chaya, c’est son intolérance qui frappe, l’absence de toute reconnaissance du droit de l’autre de penser différemment. Pourtant, le judaïsme hareidi, dont le rav Chaya se veut le représentant, connait les vertus de la tolérance. Et pour cause : il n’hésite pas à utiliser ce même argument de la tolérance lorsqu’il se trouve en position minoritaire, donc en position d’en profiter (face aux non Juifs, en-dehors d’Israël ; face aux juifs non religieux, en Israël).Les références présentées dans cet article ne sont qu’un modeste extrait de la diversité et du pluralisme de la loi orale. J’espère qu’elles permettront à certains de mieux comprendre le fonctionnement de la halakha afin d’exprimer une plus grande tolérance envers l’ensemble des juifs.

Je ne suis pas intéressé à poursuivre cette discussion car il me semble que Rav Chaya n’est pas vraiment prêt à considérer une opinion différente, même si elle provient de quelqu’un s’estimant également orthodoxe, mais ne partageant pas son idéologie. Car ne vous y trompez pas, le débat n’est pas halakhique mais hashkafatique, idéologique. Contrairement à Rav Chaya, je crois qu’il ne m’appartient pas de condamner les choix d’autres juifs et juives croyants, surtout si ces choix puisent également leurs sources dans la loi orale et la Torah d’Israël.Mais surtout, je crois que ces petites divisions au niveau de la pratique sont bien mineures face à ce qui devrait être le véritable objectif du peuple juif : vivre uni et en paix. Cette union sera impossible tant qu’une partie du peuple continuera à se voir comme seule source de légitimité et cherchera à imposer son point de vue aux autres.

Je rappelle encore une fois que le but initial de cet article n’était pas de rejeter l’avis halakhique de Rav Chaya. Il vient avant tout répondre à la grave insulte qu’à porté Rav Chaya à la majorité du peuple juif et au courant orthodoxe moderne. J’en ai profité pour présenter les failles du raisonnement halakhique de Rav Chaya, que je respecte toutefois s’il s’agit là de son avis personnel et non de « l’avis de la loi orale » toute entière.

Notes:

0 pour plus d’approfondissements au sujet de l’autorité rabbinique, nous vous renvoyons à l’article de Franck Benhamou « Fabrique la Loi » sur le Site des études juives : http://www.lesitedesetudesjuives.fr/medias/files/fabriquer-la-loi.pdf

1 Deut. 17:11
2 Michné Torah, hilchot mamrim 1:1-2
3 T.B Erouvin 96a
4 Rashi, ibid
5 Michné Torah, hilchot tsitsit 3:9
6 Choulkhan Aroukh, O.H 38:3
7 Je rajoute également que Rav Chaya commet la même erreur au sujet du talit. Sur la page facebook du blog, il a écrit que : « Le Choul’han Aroukh écrit clairement dans Or ha’haïm, chapitre 17, alinéa 2, que le fait que les femmes portent le tsitsit est considéré comme « une marque d’orgueil ». Cela est donc interdit. ». La encore, ce n’est pas le Choulkhan Aroukh mais le Rema, un détail de taille…
8 Choulkhan Aroukh, O.H 38:3
9 Ibid. 70:1
10 Ibid. 589:3
11 Ibid. 640:1
12  Tossefot, erouvin 96a, rosh hashana 33, etc…
13 Teshouvot Harashba, 123
14 Cité par tossafot dans Erouvin 96a
15 Olat tamid sur Choulkan Aroukh, O.H 38:3
16 Pninei Halakha, Likoutim, hilchot téfilines, 13
17 Précisons que la majorité du judaïsme yéménite a toujours suivi Maïmonide, au lieu du Choulkhan Aroukh. Il ne s’agit donc pas d’un changement mais bien d’une continuité de la tradition yéménite.
18 Rapporté dans le livre « meyen omer » 7:93
19 Maamarei haréïya, p.518
20 Voir Saul Liberman and the orthodox, Marc Shapiro. L’auteur reproduit intégralement de nombreuses lettres élogieuses de rabbins orthodoxes.

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Hommage à Sarah Schenirer

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Nous venons de passer l’anniversaire de deuil de Sarah Schenirer (26 Adar I 5695), une femme qui fut une grande pionnière en matière d’éducation religieuse pour les jeunes filles juives. On estime ainsi qu’à son décès en 1935, le réseau d’écoles Beit Yaakov, qu’elle fonda et dirigea, enseignait la Torah à environ 35’000 étudiantes, et depuis ce sont probablement des centaines de milliers de jeunes femmes juives qui ont suivi la même voie vers la connaissance.

Avant Sarah Schnerirer, les jeunes filles de famille religieuse apprenaient surtout par mimétisme, dans le cadre du foyer familial, les lois qu’elles étaient censées respecter, les connaissances minimales qu’elles devaient maîtriser, et les bonnes manières de se conduire. Sauf rare exception, leurs connaissances purement textuelles étaient extrêmement limitées. De nos jours, tout dépend : dans les cercles religieux « ouverts », les femmes ne rencontrent aucun obstacle à l’acquisition de connaissances en kodesh ; ailleurs, la position hareidite classique consiste à donner aux jeunes femmes de fortes connaissances en matière de Bible, de Halakha (loi juive), d’Histoire et de Moussar (éthique) – mais pas en matière  de Loi Orale (Talmud) ; et il existe encore quelques cercles plus extrêmes, dans lesquels les femmes apprennent très peu la Torah. (1)

On mesure le chemin parcouru et la révolution accomplie.

C’est l’occasion pour moi de souligner ici un point qui devrait intéresser les lecteurs de ce blog : l’origine des idées de Sarah Schnerirer se situe dans les enseignements de la néo-orthodoxie allemande, et en particulier dans les idées du rav Shimshon Raphael Hirsch, que Schnerirer découvrit lors d’un voyage à Vienne en 1914.

La néo-orthodoxie était un petit mouvement précurseur de l’orthodoxie moderne, et qui se réclamait tout à la fois de la tradition religieuse juive et d’une appartenance sincère à la modernité. Sur certains points, rav Hirsch était très traditionnel – par exemple en ce qui concerne le respect de la halakha, sur laquelle il ne faisait pas de concession ; sur d’autres, il était très moderne, et estimait ainsi que les Juifs orthodoxes devaient être pleinement intégrés à la société de leur temps, parler la langue de l’époque et en comprendre la culture, se montrer prêts à renoncer à leur apparence physique extérieure (plus de barbe / pe’ot / kippa sur la tête) – tout ceci afin de pouvoir s’intégrer à la société allemande du 19eme siècle. Toutefois, en cas de conflit entre Torah et Modernité – c’était la première qui primait sur la seconde pour le rav Hirsch.

En matière de place des femmes dans le Judaïsme, la néo-orthodoxie se montra également innovatrice, et chercha à faire plus de place aux femmes au sein de la Synagogue et à promouvoir leur éducation religieuse. Dans un autre registre, une grande partie de l’apologie orthodoxe en matière classique de lois pour femmes, comme l’idée que les femmes sont « différentes mais égales » par rapport aux hommes, ou même l’expression euphémistique « pureté familiale » utilisée maintenant pour désigner les lois de Niddah, trouve son origine dans la créativité juive allemande du 19eme siècle.

Sarah Schenirer fut influencée par ces idées novatrices de r. Hirsch sur l’importance de l’éducation des  femmes juives, et transporta l’idée en Europe de l’Est, avec le remarquable succès que l’on connaît. Elle sut obtenir le soutien de Grands de la Torah, comme le Rabbi de Guer et le Hafetz Hayyim (2) ; il faut dire que l’idée répondait clairement à un besoin du temps, car un renforcement de l’étude permettait de mieux lutter contre les tentations assimilationnistes de l’époque, qui touchaient aussi les femmes.

Il y a quelques années, un directeur de séminaire israélien pour jeunes filles religieuses, qui regrettait apparemment le modèle ancien d’apprentissage par mimétisme au sein de la famille, annonça publiquement à ses élèves: « nous vous donnons une éducation formelle, afin que dans une génération, vos filles n’en aient pas besoin à leur tour ». Mais une telle nostalgie d’un passé révolu, dans lequel les femmes juives n’ont pas besoin de savoir, est plus que rare de nos jours – et heureusement !

L’éducation religieuse des jeunes femmes juives est un acquis ; l’ignorance n’est jamais une valeur positive. Et, de mon point de vue, le point de départ de cette évolution se situe dans le courage de quelques rabbins allemands, qui ont accepté il y a 150 ans que le monde extérieur moderne avait aussi, parfois, certaines idées que nous pouvions importer chez nous avec bonheur.

Emmanuel Bloch

Notes :

(1) Pour un panorama général de l’étude religieuse chez les femmes, voir le livre de Shoshana Pantel Zolty, And All Your Children Shall Be Learned, Jason Aronson, 1997.

(2) Je profite de ce billet pour noter que le Hafetz Hayyim n’était en rien, comme on l’entend parfois, un précurseur du féminisme juif ; certes, il trancha que l’étude des femmes était permise, apparemment sans AUCUNE limitation (donc, à le lire, même le Talmud), ce qui peut sembler un changement considérable par rapport à la position traditionnelle est-européenne de l’époque. Mais il le faisait moins pour les femmes que par amour de l’étude de la Torah, qui était pour lui la valeur suprême. Pour plus de détails, voir à ce sujet l’article suivant: בנימין בראון, ערך תלמוד תורה במשנת החפץ חיים ופסיקתו בעניין תלמוד תורה לנשים,  Dinei Israel, Volume 24 (2007), p. 79-118.

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Un lieu pour l’infini ?

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Le Blog Modern Orthodox est heureux de continuer son projet « parashat hashavoua » qui propose des commentaires de la écrits par des intellectuel/le/s de différents horizons. Cette semaine, David Haziza commente la parashat “Pekoudei”. 

David Isaac Haziza, ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure, a étudié la philosophie et a consacré son master au problème de l’eschatologie chez Levinas. Il est maintenant en deuxième année d’un programme de PhD en littérature française et comparée à Columbia University où il s’est intéressé à la littérature du XVIe siècle, à Rabelais notamment. Il envisage de mener sa thèse sur Job et ses avatars herméneutiques et romanesques. Il écrit aussi régulièrement pour La Règle du Jeu, Slate et Tenou’a. Vivant à Manhattan, David fréquente la synagogue Modern Orthodox et égalitaire Darkhei Noam, dans l’Upper West Side.

« Le nuage recouvrit la Tente de Rencontre et la gloire de l’Eternel remplissait la Demeure. Et Moïse ne pouvait entrer dans la Tente de Rencontre car le nuage y demeurait et la gloire de l’Eternel remplissait la Demeure. Et quand le nuage s’élevait de dessus la Demeure, les Enfants d’Israël se mettaient en marche. Et si le nuage ne s’élevait pas, ils ne se mettaient pas en marche jusqu’à ce qu’il s’élevât. Oui, nuage de l’Eternel sur la Demeure de jour en jour ; et il y avait un feu à la nuit aux yeux de toute la Maison d’Israël dans toutes leurs marches. »

Pekoudei, la section des « inventaires » du temple portatif d’Israël, clôt le Livre de l’Exode. Nous avions commencé par l’évocation d’un peuple installé en Egypte et asservi, nous finissons sur une errance qui va durer quarante ans, errance d’un peuple désormais libre en quête de son identité et de la terre qui lui est promise.
Il s’agit en même temps de la dernière d’un cycle de cinq parashiyot consacrées à la construction du sanctuaire, cycle qui s’ouvrait avec Terouma par les consignes relatives audit sanctuaire et qui se referme ainsi sur l’évocation de la « demeure », du mishkan enfin réalisé. Le péché du Veau d’Or est rapporté, grossièrement, au centre de ce cycle, dans Ki tissa.
Un temple consacré à l’Eternel semble être un paradoxe. Du point de vue, à tout le moins, d’un judaïsme certes « moderne » mais qui plonge ses racines dans une longue tradition d’abstraction et de transcendance dont le Guide des Egarés est l’un des moments-clés. A propos des rites sacrificiels et du Temple, le Rambam écrit en effet :

La sagesse de Dieu […] ne jugea pas convenable de nous ordonner le rejet de toutes ces espèces de cultes, leur abandon et leur suppression ; car cela aurait paru alors inadmissible à la nature humaine, qui affectionne toujours ce qui lui est habituel. Demander alors une pareille chose, c’eût été comme si un prophète dans ces temps-ci, en exhortant au culte de Dieu, venait nous dire : ‘Dieu vous défend de lui adresser des prières, de jeûner et d’invoquer son secours dans le malheur ; mais votre culte sera une simple méditation, sans aucune pratique.’ C’est pourquoi Dieu laissa subsister ces différentes espèces de cultes ; mais, au lieu d’être rendues à des objets créés et à des choses imaginaires, […], il les a transférées à son nom et nous a ordonné de les exercer envers lui-même. Il nous ordonna donc de lui bâtir un temple […], d’élever l’autel en son nom […], d’offrir des sacrifices à lui […].

Si Dieu est absolument transcendant, le sacrifice ne peut être, comme on le comprend d’après ce passage célèbre du Guide, qu’une concession faite aux instincts païens du peuple hébreu. « Au début nos ancêtres étaient des idolâtres », lit-on dans la Haggada, des idolâtres que Dieu a rapprochés de son culte dont la fin ultime pourrait bien être cette « méditation » dont peu de gens mis à part les Prophètes eussent été capables il y a trois mille ans.

L’homme vit de signes. Si l’on suit jusqu’au bout la lecture du Rambam, la grande différence entre notre foi et celle de Paul ne résiderait pas tant dans la qualification de ces rites comme des signes que dans l’idée, chère à Paul et aux chrétiens, de leur caducité. A part pour les sacrifices qui n’étaient alors qu’une propédeutique à la prière – celle-ci préparant ultimement à la pensée désintéressée de l’unicité divine –, il n’en va généralement pas de même dans la foi maïmonidienne, précisément parce que l’on ne saurait se débarrasser des signes.

Savoir qu’on est au bord du précipice à chaque fois que l’on s’y fie est néanmoins une condition sine qua non pour que le culte monothéiste ne devienne pas une forme d’idolâtrie sous des oripeaux juifs. Sans doute est-ce le sens de l’épisode du Veau d’Or, rapporté parmi les prescriptions liées au sanctuaire, comme pour nous dire qu’il n’y a qu’un pas du judaïsme authentique à la superstition : « Voici tes dieux, Israël, qui t’ont fait monter du pays d’Egypte… » Le veau de métal n’était pas un autre dieu mais la représentation maladroite, faite par des Hébreux imprégnés de symbolisme méditerranéen ou sémitique, de ce même Dieu dont les mots ne sauraient exprimer l’ineffable nature : qu’en sera-t-il alors d’une image ?

Bien avant le Guide des Egarés, le paradoxe du sanctuaire hante la tradition juive, à commencer par la Bible. Soit parce que Dieu est un être absolument transcendant et que les croyances justifiant les rites sacrificiels sont vues comme des naïvetés vulgairement « matérialistes » : c’est ce que semble affirmer le Psaume 50 par exemple, mais aussi nombre de versets prophétiques. Soit, plus subtilement peut-être, parce qu’il n’est pas seulement transcendant mais aussi immanent. C’est encore un paradoxe mais au fond la logique qui le sous-tend est imparable : Dieu contient tout, il est donc à la fois infiniment au-dessus de tout, transcendant, et « partout », remplissant tout et toute chose – immanent. C’est ce que dira David dans un autre psaume : « Où irais-je loin de ton souffle ? Où fuirais-je loin de ta face ? Si j’escalade les cieux, tu es là ; si je m’étends au Shéol, te voilà ! Si j’élève les ailes de l’aurore, ô demeurer aux confins des mers ! là aussi ta main me conduira, me saisira ta droite ! » Comment, si Dieu est partout, penser que l’on pourrait l’arrêter à un lieu, l’y faire « demeurer » alors que le monde entier est sa demeure ?

Salomon lui-même, au moment d’inaugurer le Temple, pas portatif celui-là, le Temple de pierre qui succède au modeste sanctuaire de Moïse, dira : « Mais en vérité Elohim résiderait-il sur la terre ? Voilà les cieux, et les cieux des cieux qui ne te contiennent pas ! Combien moins cette maison que j’ai construite ! » En inaugurant la maison de Dieu, il désigne, en un geste d’une incroyable audace, l’impossibilité de ce culte qu’il met pourtant en place. Il déconstruit, si l’on me permet ce jeu de mots facile, ce qu’il vient juste de construire. La grandeur du judaïsme est là : ne pas être (complètement) dupe.

Le mishkan est pourtant bien décrit comme la demeure particulière de Dieu, la maison fabriquée par les Hébreux pour que Dieu puisse y résider. C’est le sens même du mot « mishkan ». Une première lecture, historiciste, consisterait à voir là une preuve du primitivisme mosaïque, que viendraient amender les Prophètes, les Psaumes – et plus tard la tradition rabbinique et philosophique. « Marche à la transcendance », comme disait à la Sorbonne mon professeur de philosophie indienne lorsqu’il évoquait le passage des Véda aux Upanishad et qu’il le comparait à ce qui se passe entre la Torah et les Neviim. Marche à la transcendance ou à la pure immanence donc, cela revient au même.

Je préfère lire ces textes « ensemble » et tenter de trouver une signification dans leur appartenance à un même corpus – quoiqu’elle ait eu lieu a posteriori et que même en ce qui concerne le Pentateuque je ne remette en cause ni les apports de la philologie, ni ceux de l’archéologie ou encore de l’anthropologie et de la mythologie comparées. Il se trouve, et c’est pour le coup une donnée historique toute simple, qu’on a décidé que ces textes, ces théologies apparemment contradictoires devaient constituer ensemble ce qu’on appelle le Tanakh, la Bible. Je veux chercher un sens dans la cohésion textuelle de ces contraires.
Le paradoxe que j’ai évoqué peut tenir en une phrase : il semble contradictoire d’attribuer un lieu à l’infini.

Le problème est que l’homme vit de signes, je l’ai dit, et il vit précisément dans le fini. A part au Sinaï, on ne voit pas les voix : le monde dans lequel nous vivons est structuré, découpé par nos sens, nos capacités limitées à l’arpenter et à le connaître. C’est au fond ce que nous dit le Rambam en soulignant la dimension de « concession » propre au Temple comme au Mishkan.
Mais il y a plus. La Torah met en place un langage, celui des sacrifices qu’elle reprend partiellement à d’autres rites sémites mais qu’elle transforme aussi – et ce langage « fait exister Dieu », pour reprendre la fascinante expression que Mopsik tenait de la Kabbale provençale.

Le Dieu transcendant n’existe pas. « Je serai ce que je serai », dit-il à Moïse, indice de sa non-appartenance au royaume de l’être. Maïmonide dit encore qu’il est – mais non par l’être. Etre, c’est être quelque chose : Dieu est au-delà de l’être. Il n’est ni être ni essence. Non, l’« Etre Suprême » n’est certainement pas une idée juive.

En revanche, les rites font être Dieu ici et maintenant. Le créent, de manière presque palpable, sensible. Ce n’est pas seulement une préparation à quelque religion supérieure et éthérée : c’est aussi une nécessité, Dieu a besoin de l’homme et s’incarne ainsi en lui, dans ses gestes, dans les sacrifices mêmes qui relient l’En-Haut et l’En-Bas – et les hommes entre eux. Et l’homme, être de lieu, être de chair et de signes, aura toujours besoin d’un lieu pour ainsi se pénétrer de l’infini. Que Dieu soit partout ou nulle part, éternel et donc au-delà du temps comme de l’espace, il sera toujours impossible de s’approcher de lui sans signes et sans commandements incarnés, sans calendrier ni lieu de culte.

La fin de notre parasha nous donne pourtant un indice des conditions sans lesquelles cette proximité deviendrait un leurre. La présence divine est matérialisée par un nuage. Le sanctuaire est ainsi manifestement agréé, élu par Dieu. Pas besoin d’aller aux confins des mers ou sur les ailes de l’aurore : Dieu réside en ce lieu, fabriqué par la main de l’homme, symbole de la communauté, de son histoire et de ses espoirs. Car ce n’est pas la nature qui est sacrée, mais l’homme.

Pourtant on lit ceci : « Et Moïse ne pouvait entrer dans la Tente de Rencontre car le nuage y demeurait et la gloire de l’Eternel remplissait la Demeure. » Rashi souligne à cet endroit une contradiction apparente avec un autre passage : « Et quand venait Moïse à la Tente de Rencontre pour parler avec lui, il entendait la voix lui parler de dessus l’Expiatoire qui surmontait l’Armoire de Témoignage, d’entre les deux Chérubins – et il lui parlait. » Moïse pouvait-il entrer dans le sanctuaire ou ne le pouvait-il pas ? Rashi répond que la suite même de notre verset, qui suggérait que non , permet en fait de réconcilier ces deux passages : « car le nuage y demeurait ». « Tu peux affirmer grâce à cela qu’à chaque fois que le nuage y était, il ne pouvait y entrer, mais quand le nuage se retirait, il entrait et parlait avec [Dieu] » : Moïse entrait, parlait avec Dieu…pourvu que Dieu ne s’y trouvât pas ! Ou qu’en tout cas sa présence fût devenue invisible.

Attendre que Dieu se retire pour lui parler : Dieu crée par son absence, de même lui parle-t-on en silence, de même parle-t-il en se retirant, en se taisant. Lorsque David dit qu’il ne pourrait fuir sans retrouver Dieu, il n’exprime pas une béatitude panthéiste. C’est plutôt, me semble-t-il, une espèce de cauchemar. Le genre de cauchemar dont se souviendra Hugo dans La Conscience : « L’œil était dans la tombe et regardait Caïn. » L’homme n’a pas d’issue. Il ne peut fuir sans trouver Dieu : « Tu sais quand je m’assieds et me lève, discernes de loin ma pensée » . Il ne peut même parler ou penser sans retomber encore sur ce Dieu qui emplit et domine tout : « Car nul mot sur ma langue, déjà, Eternel, tu le sais tout entier ! » Le Psalmiste voudrait rendre grâces à ce Dieu qui est tout mais non, le Psalmiste n’est pas Spinoza : « Mais pour moi, que m’accablent tes pensées, ô Dieu ! Comme m’oppriment leurs têtes ! Les compterai-je ? Elles surpassent le sable. Je m’éveille : je suis encore en toi. » O Dieu ! El, dit le texte, la divinité anthropomorphique, comme pour rabaisser un peu l’être ineffable, le non-être qui est tout et par quoi tout est, en quoi tout est, et que dit le Tétragramme ailleurs employé dans le psaume.

C’est donc d’un certain espace qu’a besoin le croyant, d’un espace et d’un temps déterminés, d’un lieu où il puisse échapper à Dieu pour pouvoir enfin lui parler. Pour que ses paroles soient les siennes et non plus celles de Dieu. Pour que, face à la nécessité, la « permission » lui soit enfin donnée . Dieu, suggère André Neher dans son livre sur Faust et le Maharal de Prague, dans un très beau passage sur la fresque de Michel-Ange dépeignant la création de l’homme où le doigt de ce dernier et le doigt de son créateur ne se touchent pas, Dieu n’est pas l’Omnipotent : ils se font face, de part et d’autre d’un écart où s’exerceront le libre arbitre et l’infinie volonté de l’homme. Dieu, loin d’être « tout-puissant », est l’« être » qui accepte de limiter son pouvoir car au-delà ce sera le domaine de l’homme. Voilà ce que vient matérialiser le sanctuaire. Faire le vide pour être enfin face à Dieu – et faire ainsi exister Dieu en un lieu, loin de cette omniprésence divine dont la saturation vaut inexistence.

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Le Seder de Pessah: Un repas Gréco-Romain ou un rite fondateur de l’identité juive ?

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  1. Le Seder – un rite fondateur.

Dans la pensée juive traditionnelle, le moment de la sortie d’Egypte marque l’instant où l’identité collective du peuple juif prend ses contours définitifs – non plus une famille clanique regroupée autour du patriarche Yaakov, ni une collectivité esclavagée et soumise à l’arbitraire de l’oppresseur égyptien, mais un vaste peuple, finalement libre d’assumer son extraordinaire vocation historique et spirituelle.

Le Seder de Pessah, plus que tout autre rituel de l’année calendaire, célèbre la fondation de l’identité juive. Les différentes étapes de la veillée pascale permettent de rejouer, de vivre à nouveau, d’une manière particulièrement frappante, le passage exaltant et initiatique de l’esclavage vers la liberté. Repliée sur elle-même, cloîtrée dans ses demeures, c’est la communauté juive dans son ensemble qui revisite ses propres origines, et en transmet la réalité existentielle à la prochaine génération – les enfants, qui font ce soir-là l’objet d’une attention pédagogique toute particulière.

Bref : Pessah est, sans aucun doute possible, la fête du particularisme juif. Et d’ailleurs, très exceptionnellement, les sources indiquent que les non-Juifs n’ont à cette occasion pas vraiment leur place parmi les Juifs. Ainsi, lorsque le Temple était encore debout, les non-Juifs n’avaient pas le droit de participer au sacrifice de l’agneau pascal[1]. Et encore aujourd’hui, la halakha considère qu’il ne faut pas partager la matza de l’assiette du Seder, qui représente précisément l’agneau pascal, avec des non-Juifs[2]. Par contre, l’idée selon laquelle il serait interdit d’inviter un non-Juif à la table du Seder est pour le moins imprécise – il est interdit de le faire pour tout repas de Yom Tov, Seder ou pas![3] Et il faut aussi souligner que des assouplissements de la loi existent pour des situations particulières[4].

Faut-il alors voir dans Pessah l’expression d’un repli identitaire du peuple juif ? Pour les chantres juifs de l’universalisme, le Seder serait alors une expérience communautariste justifiable, ou peut-être simplement tolérable, car heureusement temporaire ? Ou bien au contraire, pour les partisans d’un particularisme exacerbé, le Seder serait un instant paradigmatique, la fondation identitaire pure de toute influence extérieure corruptrice ?

2) Le Seder – un repas Gréco-Romain.

Voire. Car la situation est bien plus complexe que cela, et même singulièrement ironique. Car il semble bien que le rituel du Seder de Pessah ait des origines … gréco-romaines.

Platon et Xénophon en parlaient déjà dans leurs écrits, et Plutarque, en particulier, lui a consacré de nombreuses pages : le Symposium était une sorte de banquet, dans lequel quelques convives, le plus souvent érudits, se retrouvaient pour discuter de philosophie, d’art ou de religion, ou d’autre chose encore, autour d’une (ou plusieurs !) coupe(s) de vin.

Or, depuis le milieu du 20ème siècle, et en particulier depuis un article devenu fameux de Siegfried Stein[5], et sans interruption jusqu’à la très récente édition critique de la Haggada par Joshua Kulp (2009), les spécialistes universitaires ont mis en exergue les nombreux parallèles de forme existant entre le Symposium et le Seder[6].

Pour reprendre quelques exemples particulièrement significatifs et souvent cités dans la littérature consacrée au sujet:

1) Les Grecs et les Romains commençaient traditionnellement leurs banquets avec des légumes trempés dans de l’eau salée – comme nous lors du Seder.

2) Le vin était un élément particulièrement marquant du Symposium ; le passage d’une étape à l’autre du repas était le plus souvent marqué par une libation de vin. En parallèle, lors du Seder, nous avons les fameuses 4 coupes de vin qui remplissent une fonction similaire.

3) A part la nourriture et la boisson, le Symposium était marqué par des discussions érudites, des débats et des questions-réponses – correspondant au Maguid de notre Haggada traditionnelle.

4) Les convives mangeaient inclinés ou couchés (cf. image de présentation du billet).

5) La ‘Harosset et le sandwich de Hillel (Korekh) ont aussi des équivalents dans les descriptions de Symposiums de la littérature classique.

6) « Afikoman » est un mot d’origine grecque[7].

Et ainsi de suite – la liste complète est encore bien plus longue.

Dans tous ces cas, la correspondance avec la soirée du Seder saute littéralement aux yeux. Faut-il alors en déduire que les Sages du Talmud, confrontés à la difficile nécessité de réinventer le Judaïsme suite à la Destruction du Temple, ont purement et simplement recopié une manifestation culturelle non-juive? Le Seder de Pessah – une pâle décalcomanie de banquet gréco-romain, un ersatz d’agneau pascal  abâtardi à grands coups d’hellénisme?

Je pense qu’une telle vision serait, en fait, fausse et réductrice ; mais le problème est bien plus vaste encore : élargissons donc notre champ d’horizon.

3) Un Judaïsme de copieurs ?

Un fameux proverbe yiddish affirme que « Vies goyisht zikh, azoy yidlt zikh » (ce qui arrive aux Goyim – arrive aussi chez les Juifs) ; l’observation n’est d’ailleurs pas nouvelle et était déjà faite, pour la première fois à ma connaissance, par le Sefer ‘Hassidim (l’ouvrage majeur des ‘hassidei ashkenaz[8] au 12eme siècle).

Ceux qui suivent mes billets sur le blog et mes conférences sur Akadem m’ont souvent entendu formuler cette remarque : des idées ou des lois, que nous trouvons dans la Torah, dans le Talmud ou dans la littérature rabbinique, sont curieusement similaires aux idées et lois des cultures avec lesquelles le peuple juif était en contact immédiat.

Dans la Torah, par exemple, le Récit du Maboul présente des similitudes frappantes avec les mythes babyloniens, et en particulier l’épopée de Gilgamesh[9] ; certaines lois de la Torah, comme par exemple le statut du bœuf encorneur, ressemblent aussi beaucoup à ce que l’on retrouve dans les grands textes mésopotamiens, comme le Code d’Hammourabi[10].

Aux temps talmudiques, nous avons l’exemple discuté ici – les similitudes entre le Seder et le Symposium. Au Moyen-Age, les techniques interprétatives utilisées par le Tossaphistes ressemblaient curieusement à celles employées par leurs voisins immédiats, les moines scolastiques chrétiens tels que Pierre Abélard, qui se penchaient sur les textes du droit romain antique[11].

Et cette liste très minimale pourrait sans grande difficulté être prolongée presque à l’infini, mais le principe semble acquis : des pans entiers du Judaïsme, de ses idées maîtresses et de ses institutions les plus fondamentales, semblent provenir non pas d’une tradition ancestrale remontant jusqu’à la Révélation au Mont Sinaï, mais d’emprunts faits des cultures étrangères auxquelles le peuple juif  a été exposé au fil des siècles.

Alors, le Judaïsme n’est certes pas dans son intégralité un patchwork d’éléments importés ; par exemple, les formes de religiosité propres aux Mithnagdim, ces juifs lituaniens du 19eme siècle, semblent avoir été développées sans contact aucun avec le monde extérieur[12]. La Lituanie était à l’époque une société agraire relativement primitive, et les paysans locaux étaient à mille lieues de partager les profondes réflexions légales et théologiques de leurs voisins juifs.

A mon sens, il est plus exact d’affirmer que le développement du Judaïsme s’est réalisé, au fil du temps, par des interactions entre l’intérieur juif et l’extérieur non-juif – interactions qui pouvaient prendre, en fonction des circonstances propres à chaque cas d’espèce, des formes très variées : parfois l’évolution du Judaïsme était un pur développement interne, comme pour les Mithnagdim ; parfois elle était au contraire extrêmement influencée par le monde extérieur non-juif ; le plus souvent, le changement provenait en partie de l’intérieur, et en partie de l’extérieur – les proportions exactes du cocktail changeant de fois en fois.

Il n’empêche : une telle réalisation de la dette fondamentale que la Torah, la halakha et la pensée juive doivent toutes au monde non-juif, « extérieur à nous », a de quoi scandaliser le croyant innocent. Le phénomène est pourtant bel et bien global, pan-juif. Dès lors, comment faire face à cette dérangeante prise de conscience ?

A mon sens, deux variantes de réponses sont envisageables.

La première est celle que j’ai déjà souvent présentée: mettre systématiquement l’accent sur les divergences juives par rapport aux formes non-juives originelles ; par exemple, en défendant que la Torah fait passer, dans ses lois et récits mythologiques, un souffle moral monothéiste très différent de l’état d’esprit mésopotamien polythéiste[13].

Cette approche est aussi envisageable pour la problématique du Seder / Symposium, et de nombreux auteurs ont noté les importantes différences  entre les deux formes de repas : le Seder est égalitaire (hommes, femmes, enfants ; toutes classes sociales confondues), alors que le Symposium était réservé aux hommes érudits ; le Seder ne dégénère jamais en beuverie, au contraire du Symposium ; le Seder n’est pas l’occasion de célébrer les arts ou la philosophie, mais de marquer une expérience religieuse fondamentale – la Sortie d’Egypte.

Bref, les Sages talmudiques ont peut-être repris les coutumes alimentaires des Grecs ; pouvait-il en être autrement, d’ailleurs, tant il est impossible à un être humain de s’extraire des références culturelles du monde dans lequel il baigne ? Mais ces mêmes Sages ont su insuffler au Seder un contenu authentiquement juif[14].

Toutefois, je voudrais suggérer ici une deuxième variante de cette approche, laquelle m’est plus personnelle.

4) Le Seder comme une célébration de la Différence.

De nombreux commentateurs classiques ont noté que la soirée du Seder est placée sous le signe de la « différence ». Les exemples sont particulièrement nombreux : ainsi, lors du Seder, à la différence du reste de l’année, on doit forcément manger accoudé, on doit forcément manger du Maror, etc.

Les différences les plus essentielles reçoivent même une forme de reconnaissance publique lors de la récitation, par le plus jeune convive, du « Mah Nichtana » (dont la formulation, soit dit en passant, a quelque peu évolué entre les temps talmudiques et nos jours).

Le Talmud note également que manger du Karpass est un comportement étrange dont le seul but est de susciter le questionnement des enfants présents.

Etrangeté. Étonnement. Incongruité irréductible de pratiques inhabituelles, qui détonnent par rapport au reste de l’année. Le soir du Seder est différent de tous les autres soirs.

Mais je voudrais faire ici une suggestion innovatrice : dans ma lecture, le Seder marquerait en réalité un autre type de différence : non pas la distinction entre la nuit du 15 Nissan par rapport aux autres soirs de l’année ; non pas une différence qui serait seulement instrumentale (afin de provoquer le questionnement de l’enfant), mais bien une différence essentielle (dont la portée réside dans son existence même): selon moi, le Seder est, dans son essence, une célébration de la Différence juive.

En d’autres termes, je propose, dans ma relecture, que le questionnement enfantin du « Mah Nichtana », et notre questionnement d’adulte en constatant la proximité du Seder avec le Symposium, se rejoignent dans l’affirmation d’un message fondamental du soir du Seder : l’idée même  de la Différence, prise en tant que concept distinct. La soirée du Seder serait alors, de facto, organisée autour d’un questionnement primordial, d’une sorte de « Mah Nichtanah » aux dimensions nationales: en quoi cet être humain est-il différent des autres êtres humains ?

Dans cette optique, le Seder de Pessah serait tout à la fois un rite fondateur de l’identité juive et un repas gréco-romain ; et aussi l’expression symbolique de ce qui fait le cœur de la Différence juive par rapport aux autres nations du monde. Ce qui nous sépare des autres nations du monde n’est pas un abîme mais des détails parfois subtils, qui font toute la différence.

Affirmer la différence, n’est-ce pas d’ailleurs toujours affirmer, dans un corollaire nécessaire, une forme de similitude ? Qui ne se souvient pas du sketch « Qui perd perd » de Coluche, dans lequel un animateur de jeu télévisé posait au candidat la question éminemment paradoxale de savoir « quelle est la différence entre un pigeon ? »[15]. Le Seder de Pessah vient certes réaffirmer la différence juive, mais aucune différenciation n’est même concevable sans l’affirmation préliminaire d’une réelle proximité.

Et ce billet peut ainsi, en guise de conclusion, boucler la boucle : dans cette deuxième variante, nous n’avons nul besoin de « sauver » le Seder d’une quelconque comparaison réductrice avec une forme de repas étrangère au Judaïsme, en mettant l’accent sur les messages implicites qui divergent. Le Seder redevient ici ce qu’il était au début de notre présentation : un rite paradigmatique fondateur de toute l’identité juive.

Mais cette identité juive est maintenant comprise très différemment : non pas comme une tradition dont il faut à tout prix préserver la pureté face à un monde extérieur corrupteur, ni d’ailleurs comme une forme de spiritualité soluble au final dans l’universalisme et les valeurs humanistes – mais bien comme la réconciliation ultime du particularisme et de l’universalisme, via la célébration du cœur de notre identité, laquelle est différente, parce qu’au final comparable.

Notes :

[1] Chemot 12:43.

[2] Kaf Ha-Hayyim 558:19, au nom du Ch’la ha-Kadoch.

[3] De peur de cuire pour l’invité non-Juif, ce qui est prohibé par les lois de Yom Tov, cf. Orah Hayyim 612:1 ; le jour du Shabbat ce problème n’existe pas.

[4] Par exemple pour des candidats à la conversion ou des membres de famille non-Juifs. Voyez notamment cette techouva pour plus de détails : http://www.cheela.org/pessah/23388-non-juif-seder

[5] Siegried Stein, The Influence of the Symposia Literature on the Literary Form of the Pesah Haggadah, The Journal of Jewish Studies 8 (1957).

[6] Une note de précaution toutefois – le prof. David Henshke vient de publier, il y a quelques semaines à peine, un nouveau livre qui promet d’être passionnant (voir ici : http://seforim.blogspot.com/2016/03/new-book-announcement-professor-david.html). R. Sam Elikan me signale que cet ouvrage remet en question les parallèles entre Seder et Symposium ; faute d’avoir encore pu lire le livre, je ne peux commenter ni sur la pertinence, ni sur la portée de sa critique, mais l’auteur est un érudit de tout premier plan et ses arguments sont certainement sérieux. Mais, dans tous les cas, la problématique dont ce billet traite est, au final, bien plus générale que le Seder à proprement parler – cf. point 3 ci-dessous – et les conclusions de ce billet ne seront a priori pas affectées par la critique de Henshke.

[7] Selon Saul Lieberman, Yerouchalmi ki-pchouto, vol. 1 p. 521, le mot fait référence à la pratique grecque de epikomazein, soit lorsque les convives vont de maison en maison afin de recruter de nouveaux participants pour le festin – lors du Seder juif, une telle pratique est interdite. D’autres étymologies possibles existent pour le mot Afikoman.

[8] http://www.akadem.org/sommaire/cours/3000-ans-de-pensee-juive/ascese-martyr-et-demons-les-mystiques-ashkenazes-26-11-2012-48706_4421.php

[9] http://www.modernorthodox.fr/etes-vous-maboul/

[10] http://www.akadem.org/sommaire/paracha/5774/parachat-hachavoua-5774/michpatim-la-question-de-l-avortement-16-12-2013-55985_4499.php

[11] http://www.akadem.org/sommaire/cours/3000-ans-de-pensee-juive/rachi-et-tossfot-l-essor-du-talmudisme-26-11-2012-48708_4421.php

[12] Allan Nadler, The Faith of the Mithnagdim: Rabbinic Responses to Hasidic Rapture, John Hopkins Jewish Studies, 1999.

[13] Cf. notes 9 et 10 ci-dessus pour un exposé complet de ce point.

[14] Voir par exemple ce billet du r. Gil Student : http://www.torahmusings.com/2012/04/the-seder-and-the-symposium/

[15] https://www.youtube.com/watch?v=jKjtaInQUb8

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Le bris des Tables: théologie juive après la Shoah

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Je n’aime pas écrire sur la Shoah. Non pas par manque d’intérêt pour cette catastrophe innommable mais bien car je me sens absolument incapable d’exprimer par des mots ce que mon esprit peine à comprendre. Pour ces millions de vies volées, je me protège derrière ce silence pesant et si expressif qui saisit Aharon face au meurtre brutal de ses deux enfants. Vayidom Aharon, « Aharon se figea » (Lev. 10 :3), nous dit le verset, le verbe Vayidom וידום exprimant non pas un silence (וישקוט) mais bien un arrêt total, une non-expression glaçante qui fige le temps lui-même, à la façon dont le Soleil arrêta sa course pour Josué et son armée : Shemesh BeGivon Dom / Le soleil se figea à Givon  (Jos. 10 :12).

Il y a deux mois, Mr. Florian Wolfowicz m’a gracieusement fait parvenir sa traduction (en collaboration avec Sarah Weiss) d’un court texte théologique sur la Shoah, « Le bris des Tables: théologie juive après la Shoah », écrit par l’un des plus grands talmudistes de notre époque : Le Professeur David Weiss-Halivni. Cet érudit, lui-même rescapé de la Shoah, m’était avant tout connu pour son travail considérable sur la rédaction du Talmud ainsi que sur les stamayim, les sages anonymes qui finalisèrent le Talmud de Babylone. En toute honnêteté, c’est avec beaucoup de circonspection que j’ouvris le livre. Les talmudistes sont rarement de grands théologiens et traiter de la Shoah d’un point de vue théologique me paraissait de toute façon voué à l’échec.

Pourtant, Halivni arrive non seulement à parler théologiquement de la Shoah mais en plus il parvient à lier le tout à l’œuvre de sa vie, l’étude de la Torah et la recherche du sens premier du texte talmudique. Dès le début, le ton est donné : « Il y eut deux événements théologiques majeurs dans l’histoire juive, la révélation au Sinaï et la “révélation” à Auschwitz. Le premier révéla la présence de Dieu, le second révéla l’absence de Dieu. »

Toutefois, Halivni rejette catégoriquement l’approche obscène qui consiste à accuser les victimes de leurs propres souffrances. Car pour Halivni, la Shoah ne saurait être une punition divine. Elle est au contraire la liberté humaine poussée à son summum, incontrôlée. Cette réponse, Halivni ne la trouve non pas dans les pages trop rationnelles, trop terrestres, du Talmud mais dans la tradition mystique du Zohar. Plus particulièrement, c’est le concept kabbaliste de tsimtsoum, de rétraction de la divinité pour permettre aux humains d’exister, qui sera le fil conducteur de son raisonnement.

Selon le Zohar, Dieu se rétracte, se réduit, pour que sa présence n’efface pas le libre-arbitre humain. Mais ce tsimtsoum n’est pas constant et il existe ainsi des époques où il est renouvelé. Au Sinaï, la présence de Dieu était si flagrante qu’elle ne laissa que peu de place à la foi. Mais depuis deux millénaires, le tsimtsoum est en augmentation constante. Cela, Halivni le constate avant tout en ce qui concerne l’étude de la Torah. À l’origine, l’homme était partenaire de Dieu dans l’interprétation de la loi, la halakha, et vivait ainsi de façon optimale la proximité entre Dieu et ses créatures. Mais voilà qu’au cours des siècles, Dieu se retrouva petit à petit exclu de son propre texte. L’étude devient plus théorique, plus vague, moins proche de la Parole de Dieu entendue au Sinaï.

Pour Halivni, le tsimtsoum atteint son apogée lors des 200 dernières années. Sur le plan de l’étude, cet éloignement du divin s’exprime à travers le pilpoul, cette nouvelle façon d’étudier le Talmud en multipliant les raisonnements complexes mais pourtant terriblement éloignés du texte.  Dieu est loin, très loin, de sa création qui se trouve livrée à elle-même.  Le solstice, c’est évidemment la Shoah. Le tsimtsoum est si intense que Dieu semble disparaitre de sa création. La Shoah n’est donc pas le fruit de la volonté divine mais bien la conséquence de son absence de volonté, de son indifférence temporaire qui laisse les humains livrés à eux-mêmes.

Ainsi, la réponse d’Halivni à Auschwitz est avant tout théologique. L’héritage spirituel de la Shoah n’est ni dans l’auto-flagellation, ni dans la haine. Être juif après Auschwitz, c’est œuvrer pour le rapprochement constant de Dieu et son peuple, pour la fin du tsimtsoum. Un rapprochement qui, pour Halivni, passe évidemment par l’étude de la parole de Dieu. Une étude qui se doit d’être ancrée fortement dans le sens premier du texte et non pas s’égarer dans des raisonnements complexes mais vides de sens. À l’étude, se rajoute la prière qui, pour Halivni, est avant tout une demande, une supplication, pour que Dieu se dévoile et de par ce fait limite ce libre-arbitre devenu un poids si lourd pour l’humanité.

Cette dernière réflexion m’a étrangement rappelé celle d’un autre talmudiste rescapé d’Auschwitz, le mystérieux Mr. Chouchani qui fut le maître de Lévinas et d’Elie Wiesel. Dans sa biographie, Salomon Malka rapporte l’interprétation étonnante proposée par Chouchani au verset : הֲשִׁיבֵנוּ יְהוָה אֵלֶיךָ וְנָשׁוּבָה חַדֵּשׁ יָמֵינוּ כְּקֶדֶם  / Fais nous revenir vers toi, Éternel, et nous reviendrons ! Renouvelle nos jours comme Kedem. (Lam. 5 : 21). Traditionnellement, le mot kedem est interprété comme signifiant « avant / autrefois ». Le verset serait donc une prière pour le rétablissement de la splendeur d’Israël. Mais Chouchani proposait de comprendre kedem comme un synonyme du fameux Jardin d’Éden qui se situait selon la Bible à Kedem, à l’Est. Ainsi, le verset serait une supplication pour que Dieu renouvelle notre état originel, celui d’avant la faute, lorsque Adam et Ève vivaient dépouillés de libre-arbitre. Est-ce un hasard si ces interprétations sont le fruit d’érudits ayant justement vécus le déchainement le plus total et violent du libre-arbitre humain ?

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Pour plus d’informations sur David Weiss Halivni, cliquez ici.

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Guide du mariage juif et des accords prénuptiaux

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Régulièrement, des lecteurs et lectrices nous adressent des questions portant sur les mariage et divorce juifs. Ces questions ont donné naissance à cet article, qui tentera d’expliquer au public francophone qu’elles sont les différentes alternatives à envisager. Mais avant tout, une précision : dans ce billet, le terme « accords prénuptiaux » ne concerne que les accords liés au problème du guet, lorsque l’une ou l’autre partie refuse de le donner ou de le recevoir, et non pas des accords prénuptiaux traitant de questions d’argent. Pour plus d’explications sur le fonctionnement du divorce juif, nous recommandons « L’introduction au divorce juif » publié par Janine Elkouby sur ce blog.

Qu’est-ce qu’un accord prénuptial ?

L’accord prénuptial est un contrat civil qui impose des sanctions monétaires à l’un des époux si, en cas de demande de divorce, l’une des parties refuse de donner ou de recevoir le guet. Cette sanction n’est pas punitive mais vise uniquement à contraindre à remettre le guet. Les accords prénuptiaux varient d’un pays à l’autre, selon la juridiction civile qui y est en place. Il faut signaler que les premiers accords prénuptiaux ont été mis en place par le Rav Shalom Messas au Maroc dans les années 1950. Des accords prénuptiaux sont aujourd’hui reconnus par le Grand Rabbinat d’Israël ainsi que par les principales organisations rabbiniques orthodoxes américaines (RCA, OU ou encore IRF).

Malheureusement, le rabbinat français ne propose toujours pas de tel contrat aux futurs mariés, mais cela n’empêche pas les futurs mariés de signer un tnay (voir plus bas pour plus d’explication).

En Israël, certains accords prénuptiaux (voir ci-dessous) sont reconnus par le rabbinat local et peuvent donc être signés lors de la cérémonie, en même temps que la signature de la Ketouba. Dans ce cas-là, mieux vaut en parler avec le rabbin avant la cérémonie et mieux vaut choisir un rabbin encourageant ces accords.

Pourquoi signer un accord prénuptial ?

Lors de la cérémonie du mariage juif, la femme consent à livrer une partie de son autonomie à son futur mari, c’est le kinyan, l’acquisition d’une partie des droits de la femme par son mari lors de la remise de la bague. En conséquence de ce kinyan, le divorce religieux ne peut être prononcé sans un acte qui émane du mari, le guet, acte par lequel le mari libère sa femme en lui disant « te voilà permise à toute homme ». S’il le refuse, sa femme devient une messorevet guet, une femme enchaîinée à son mariage par son mari, ne pouvant ni se marier à nouveau, ni faire venir au monde des enfants d’un autre conjoint, qui seraient considérés comme « mamzerim » (bâtards).

L’accord prénuptial vient donc contourner ce problème en envisageant diverses sanctions contre le mari récalcitrant (mais aussi contre la femme qui refuserait de recevoir son guet). Le signer, c’est faire preuve de responsabilité envers notre société en encourageant une pratique visant à éradiquer l’existence de femmes enchaînées. De même, signer cet accord, à une époque où de nombreux couples divorcent civilement et se remarient sans attendre le guet, c’est faire preuve d’une responsabilité collective envers la communauté juive en adoptant une pratique qui peut signer la fin de la multiplication des cas de femmes agounot et d’enfants mamzerim. Enfin, c’est aussi exprimer sa confiance envers son conjoint, puisqu’on s’engage à ne jamais utiliser de tels moyens de pression en cas de divorce.

Quels sont les différents types d’accords prénuptiaux ?

Il existe deux types principaux d’accords prénuptiaux et il est tout à fait possible de signer les deux contrats, pour une garantie maximale :

  1. L’accord prénuptial classique est purement civil. Les conjoints s’engagent à payer une lourde amende financière mensuelle si l’un ou l’autre refuse de donner ou de recevoir le guet après que l’obligation de divorcer ait été prononcée par le tribunal rabbinique. Cette amende mensuelle se terminant avec la remise du guet, on suppose qu’elle fera fléchir même les esprits les plus entêtés.
  2. Le tnay bé-kidoushin est un contrat religieux visant à invalider rétroactivement le mariage si l’un des conjoints refuse le divorce ou disparait. Il s’agit d’une mesure beaucoup plus radicale mais efficace dans la totalité des cas, y compris en cas de disparition ou de coma profond. Le fonctionnement est simple : le mariage se fait à condition de respecter une liste de règles comme, par exemple, celle de ne pas disparaître plus de six mois ou de ne pas refuser le guet pendant plus d’un an. L’homme épouse sa femme à ces conditions et la femme accepte le mariage à ces conditions également. Si les conditions ne sont pas respectées, le mariage est annulé rétroactivement.

Les autorités rabbiniques reconnaissent-elles ces contrats prénuptiaux ?

Ces contrats ont tous été établis par des rabbins orthodoxes. Certains sont acceptés quasi-unanimement et d’autres font débats. Les contrats reconnus par le rabbinat israélien sont acceptés par une large majorité de rabbins.

Plus un contrat est efficace, plus celui-ci fait débat, pour une liste de raisons alliant halakha et conservatisme. Une personne souhaitant signer un accord non-reconnu par le rabbinat peut le faire devant un notaire et se marier sans autre changement avec le rabbinat local.

Le tnay n’est pas reconnu par le Rabbinat israélien ou français mais beaucoup de rabbins accepteront malgré tout de le signer, sans forcément le déclarer. En cas de refus de la part du rabbin dirigeant la cérémonie, il est possible de le signer sans l’en informer.

La juridiction française reconnait-elle les accords prénuptiaux ?

À ce jour, le rabbinat français n’a toujours pas rédigé d’accord prénuptial. En l’absence d’un accord rédigé par le rabbinat et par une équipe de juristes français, il est impossible de savoir si un tel accord sera reconnu par la juridiction française. C’est pourquoi nous n’encourageons pas les couples se mariant en France à signer un tel accord qui peut s’avérer nul. En attendant, nous encourageons la signature du tnay et invitons l’ensemble de la communauté juive de France à solliciter le rabbinat pour que celui rédige un contrat prénuptial, à l’instar des rabbinats orthodoxes israéliens et américains.

Comment signer un « tnay » sans en informer mon rabbin ?

Le tnay doit être signé le même jour que la Houppa, avant la Houppa. La présence du rabbin n’est pas nécessaire, mais celle des témoins est indispensable. Le futur marié et la future épouse doivent le signer tous les deux devant les témoins et s’assurer d’en avoir compris le contenu. Il n’est pas nécessaire que les époux le signent en même temps mais il faut s’assurer de le signer devant les témoins.

Malgré le débat rabbinique sur la validité du tnay, il faut avoir conscience qu’il s’agit de la forme la plus efficace pour éviter de futurs problèmes. En cas de divorce difficile, il est certain que même un tribunal rabbinique s’opposant à ce tnay acceptera de l’utiliser a posteriori.

Enfin, le tnay peut être signé en plus du traditionnel contrat prénuptial.

 

Quelle est la procédure à suivre si nous nous marions en France ? En Israël ? Au Canada ?

  Contrat prénuptial Tnay
Mariage en France

Pour l’instant, il n’existe pas d’accords prénuptiaux en France. Espérons que le rabbinat français en rédige un au plus tôt.

Le Tnay n’est pas reconnu par le Rabbinat français mais peut être signé de façon privée entre les mariés. Voir plus haut pour la procédure à suivre.

Mariage en Israël

Le rabbinat israélien reconnait plusieurs accords prénuptiaux, comme par exemple celui proposé par l’organisation rabbinique « Tsohar ». Il convient donc de choisir un rabbin soutenant ces accords et la signature peut se faire lors de la cérémonie, devant le rabbin.

Si l’on choisit un accord prénuptial non-reconnu par le rabbinat ou si le rabbin s’y oppose, on peut le signer avant le mariage devant un notaire.

Le Tnay n’est pas reconnu par le Rabbinat israélien mais peut être signé de façon privée entre les mariés. Voir plus haut pour la procédure à suivre.

Mariage au Canada

Vous pouvez signer un accord prénuptial établi par le Rabbincal Concil of America (RCA) et adapté à la juridiction canadienne. Voir plus bas pour télécharger l’accord.

Il n’existe pas de rabbinat canadien mais plusieurs organisations rabbiniques reconnues par les autorités. Ainsi, il est possible que certaines reconnaissent le tnay et que d’autres ne le reconnaissent pas. Il convient donc de se renseigner auprès du rabbin célébrant la cérémonie.

Nous nous marions en Israël, sans passer par le rabbinat. Que faire ?

Dans ce cas-là, il est possible de signer un accord prénuptial devant un notaire. De même, on peut signer un tnay en suivant la procédure susmentionnée.

Nous sommes déjà mariés, pouvons-nous encore signer un accord de ce type ?

Il est impossible de signer un tnay après le mariage, mais il est possible de signer un accord postnuptial équivalent au contrat prénuptial. Dans ce cas, il convient de se renseigner auprès d’un avocat ou d’une organisation spécialisée pour savoir quelle est la procédure à suivre.

Où trouver l’accord prénuptial qui me convienne ?

L’organisation « Jewish Women’s Foundation » a mis en ligne une brochure en hébreu recensant les différents accords prénuptiaux et les tnay envisageables. La revue est disponible ici.

Le « Beit Din of America » a également mis en ligne une liste d’accords envisageables. Pour la France, il est possible d’adapter l’un ou l’autre de ces accords à la juridiction française, à condition de le faire avec un avocat spécialisé. Voir ici.

Pour le Canada, le RCA a mis en place un contrat prénuptial adapté à la juridiction local. Téléchargez-le ici et conférez vous à cette lettre du Rabbin Michael Witman pour comprendre son fonctionnement. Pour plus d’informations sur les accords prénuptiaux au Canada, voir également ce site et contactez, si besoin, Sonia Sarah Lipsyc (soniasarahlipsyc@yahoo.fr).

L’organisation rabbinique « Tsohar » propose un accord reconnu par le rabbinat israélien et disponible ici.

Où trouver un « tnay bé-kidoushin » ?

Le tnay que nous recommandons est celui du Rav Noam Zohar, disponible en ligne (p. 28), accompagnée d’explications en hébreu.

Je mets également en ligne le formulaire prêt à l’impression de ce tnay ainsi qu’une version française.

Le tnay à imprimer : hébreu, français.

Je connais une femme agouna, enchaînée, comment l’aider ?

Il convient de contacter au plus vite une organisation spécialisée dans l’aide aux femmes agounot.

En Israël, on peut s’adresser à :

En France, contactez le Professeur Liliane Vana: divorce.juif.france@hotmail.fr et référez-vous également au « Guide du divorce religieux en France » publié par la Wizo sous la direction de Sonia Sarah Lipsyc, Annie Dreyfus et Janine Elkouby.

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Merci à Emmanuel Bloch, Sonia Sarah Lipsyc et Janick Dahan pour leur aide à l’écriture de cet article.

crédit photo: Hila Shiloni. 

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La fille de Jephté : nonne ou Iphigénie biblique ?

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Le livre des Juges consacre son 11e chapitre à Jephté, l’un des dirigeants de l’ancien Israël. Incontestablement, la lecture de ce chapitre ne peut que surprendre une personne vivant au sein du monde judéo-chrétien actuel. Le rapport du narrateur biblique à Jephté n’est pas parfaitement clair, il oscille entre neutralité et admiration, mais toujours est-il qu’il n’est jamais critique. Pourtant Jephté est dépourvu du moindre trait juif contemporain : il vit entouré de brigands, il est violent et impulsif. Peut-être rappelle-t-il Samson, un autre juge hébreu à la morale douteuse, bien plus tourné vers la guerre et les femmes que vers la maison d’étude et la justice.

Dans ce court texte, je souhaite prouver qu’un changement s’est opéré dans la tradition juive, entre l’époque biblique et l’époque talmudique. À travers la figure de Jephté, il nous est possible de percevoir la rupture morale qui sépare au moins une partie de l’époque biblique du monde juif actuel, héritier de la tradition rabbinique. Ce changement, Nietzsche le définissait déjà comme « l’inversion des valeurs » qui pour lui avait fait passé l’humanité d’une éthique des classes dirigeantes à une morale des faibles. Disons-le tout de suite, je ne partage absolument pas le point de vue normatif de Nietzsche sur cet inversement que je juge comme élévation morale alors que Nietzsche y voyait une décadence. Cependant, je pense que la prise en compte historique d’un changement moral est la clé pour comprendre la figure de Jephté et sa place dans la Bible.

Le vœu de Jephté dans le texte biblique

Jephté est surtout connu dans les mémoires pour avoir sacrifié sa fille suite à un serment stupide. Parti en guerre, Jephté dévoile son rapport mythologique à Dieu en croyant bon de conclure un pacte avec lui : « Jephté fit un vœu au Seigneur ; il dit : Si vraiment tu me livres les Ammonites, quiconque sortira des portes de ma maison à ma rencontre, lorsque je reviendrai victorieux de chez les Ammonites, sera pour Dieu, et je l’offrirai en holocauste. »

Mais voilà que revenu victorieux du champ de bataille, c’est sa fille qui sort à sa rencontre et se trouve prise au piège par le vœu effrayant de son père : « Lorsque Jefté revint chez lui à Mispa, ce fut sa fille qui sortit à sa rencontre, en dansant au rythme des tambourins. Elle était sa fille unique, il n’avait pas d’autre enfant. Dès qu’il la vit, il déchira ses vêtements et s’écria : « Ah ! ma fille, tu me plonges dans le malheur, tu es toi-même la cause de mon désespoir ! J’ai pris un engagement envers le Seigneur et je ne peux pas revenir sur ma promesse. »

Pourtant, le vœu de Jephté signifiait-il vraiment que sa fille devrait être sacrifiée ? Le texte ne mentionne nulle part sa mort mais se contente de la formule suivante : « Au bout des deux mois, elle retourna auprès de son père qui accomplit à son égard ce qu’il avait promis. » (Juges 11 :39). Un autre point est intriguant, l’insistance sur la virginité de la victime répétée trois fois de suite en seulement trois versets :

  • Juges 11 :37Elle dit [à son père] : « accorde-moi un délai de deux mois ; je me rendrai sur les collines avec mes amies pour y pleurer ma virginité ».
  • Juges 11 :38Elle alla donc sur les collines avec ses amies pleurer sa virginité.
  • Juges 11 :39 – Au bout des deux mois, elle retourna auprès de son père qui accomplit à son égard ce qu’il avait promis. Elle n’avait jamais connu d’homme.

Ce rappel quasi-obsessionnel de sa virginité, associé à l’étrange formule concernant la réalisation de la promesse, soulève l’interrogation des pashtanim, les commentateurs attachés au sens littéral des versets. Ibn Ezra, Gersonide, le Radak et Abrabanel, pour ne citer qu’eux, nous livrent tous des interprétations contraires à la tradition et ils sont rejoints sur ce point par des spécialistes contemporains en étude biblique.[1]

Mais si la fille de Jephté n’est pas morte, que lui est-il arrivé ? Pour ces commentateurs, elle serait en fait devenue une nonne biblique, forcée par le vœu de son père à rester une vierge éternelle et à vivre coupée du monde. Abrabanel va jusqu’à y voir l’origine du cloître des sœurs catholiques : «C’est de cette histoire qu’on appris les chrétiens à créer des maisons séparées (cloître)[2] où vivent des femmes toute leur vie sans en sortir et sans voir d’hommes ». Radak nous explique d’ailleurs que c’est ainsi qu’il faut lire la promesse de son père :

« Jephté fit un vœu au Seigneur ; il dit : Si vraiment tu me livres les Ammonites, quiconque sortira des portes de ma maison à ma rencontre, lorsque je reviendrai victorieux de chez les Ammonites, sera pour Dieu ou je l’offrirai en holocauste. »

En effet, dans la Bible la lettre de liaison ו (vav) doit être comprise comme étant une disjonction inclusive traduisible par « et » ou par « ou ». Par exemple, dans l’Exode (21 :15) nous lisons : וּמַכֵּ֥ה אָבִ֛יו וְאִמּ֖וֹ מ֥וֹת יוּמָֽת, Celui qui frappe son père ou sa mère périra. Dans ce contexte, nul ne doute que le verset condamne celui frappant l’un de ses parents et non pas uniquement celui levant la main sur son père et sa mère à la fois.

Pareillement, Jephté aurait affirmé consacré à Dieu l’être humain qui sortirait de chez lui ou bien sacrifier l’animal qui apparaîtrait en premier. Malheureusement pour lui, c’est sa fille qui vient à sa rencontre et le verset justifie son désespoir en soulignant qu’elle était son unique enfant. Là aussi, on note que ce n’est pas tant le sort de l’enfant qui le désespère mais plutôt le fait que ce sort le prive lui-même d’une descendance. Malgré la violence indiscutable de Jephté, on peut supposer qu’en cas de réel sacrifice, le sort de sa fille l’aurait tout de même un peu plus préoccupé que sa propre engeance.

Les sages et la diabolisation de Jephté

Si la fille de Jepthé fut simplement une bonne-sœur avant l’heure, comment naquit la tradition concernant son meurtre ? Aussi loin que m’ont mené mes recherches, cette tradition semble remonter à l’époque talmudique. Pour les sages, le meurtre de la fille de Jephté leur permet de critiquer librement celui que la Bible présente pourtant comme un juge et envers lequel elle n’émet aucun reproche. Les sages connaissaient-ils la mythologie grecque et le sacrifice d’Iphigénie par Agamemnon ? S’il est difficile de le savoir, il semble toutefois clair que pour eux Jephté est une figure bien trop proche des héros mythologiques grecs, imbus de pouvoir, sûr d’eux-mêmes et débordant de violence. Pareillement, le rapport de Jephté à Dieu est des plus détestables à l’oreille d’un juif rabbinique. Loin du Dieu transcendant des sages, il apparait comme un dieu beaucoup trop humain et païen.

Tout d’abord, il semble n’être qu’un dieu local, le dieu de la terre d’Israël parmi un panthéon d’autres dieux locaux. Comme le dit Jephté au roi d’Amon : « Ne possèdes-tu pas le territoire que ton dieu Kemoch t’a accordé ? Eh bien, nous avons aussi le droit de posséder celui que YHVH nous a permis de conquérir.» Comme chez Homère, les guerres des peuples sont aussi celles de leurs dieux. D’ailleurs, ces dieux sont tout aussi violents que leurs créatures. Est-ce pour cela que Jephté partant en guerre choisit de conclure un pacte de sang avec son Dieu plutôt que d’implorer sa miséricorde ? À ses yeux, son cruel dieu n’a que faire du sort de hommes, encore faut-il le soudoyer pour obtenir son aide.

La théologie de Jephté a été parfaitement résumée par Nietzsche qui considère que c’est ainsi que réfléchissaient tous les peuples antiques :

Un peuple qui croit encore à lui-même a aussi son propre Dieu. Il vénère en lui les conditions qui le rendent victorieux, ses vertus, il projette la sensation de plaisir qu’il se cause à lui-même, le sentiment de puissance dans un être qu’il peut en remercier. Qui est riche, veut donner : un peuple fier a besoin d’un Dieu, à qui sacrifier… La religion, dans ces conditions, est une forme de la reconnaissance. On est reconnaissant envers soi-même : voilà pourquoi il faut un Dieu. Un tel Dieu doit pouvoir servir et nuire, doit être ami et ennemi, on l’admire en bien comme en mal.[3]

Ce Dieu égoïste et trop humain est à l’opposé de celui proposé par les sages. Le Dieu rabbinique possède une perfection qui lui interdit le mal et une transcendance qui le sépare totalement des basses pulsions humaines. Il est le Dieu clément et miséricordieux n’étant pas intéressé par les offrandes et refusant catégoriquement le meurtre rituel. Pourtant, ce Dieu est absent de l’histoire de Jephté. Pire encore, il semble accepter le pacte en accordant à Jephté la victoire.

            C’est à travers un long midrash[4] que les sages vont procéder à cet « inversement moral » dont je parlais plus haut. Le midrash accusera non seulement Jephté de meurtre mais en ferra un sot brutal, ignorant tout autant les commandements de la Torah que les lamentations de sa fille. D’une façon intéressante et totalement anachronique, les sages vont introduire une autre figure au sein de ce midrash, celle de Pinhas le zélote, qui poignarda sans consultation préalable un chef de tribu s’étant uni à une femme païenne. Pinhas, diront les sages, était prêtre à l’époque de Jephté mais refusa d’expliquer à ce dernier que selon les règles religieuses sont vœu était annulable. Ce refus, les sages l’interprètent comme un orgueil meurtrier : « Je suis prêtre [dit Pinhas], comment pourrais-je m’humilier en allant chez un ignorant ? ». Et aux sages de conclure que c’est la malheureuse fille qui paya le prix de l’ignorance de son père et de l’orgueil de Pinhas. Plus loin, le midrash va jusqu’à donner la parole à Dieu, dont l’absence de parole est frappante dans le livre des Juges. Cette fois, le dieu cruel de Jephté laisse place au Dieu que nous connaissons, désespéré par les folies des hommes commises en son nom.

            La proximité entre Pinhas et Jephté n’est en rien un hasard. Les deux sont des héros bibliques bien éloignés du modèle rabbinique. Ils s’illustrent par leur violence et leur impulsivité bien plus que par leur sagesse. Contrairement aux prophètes, ils ne consultent pas Dieu mais s’érigent en envoyés d’un dieu cruel, convaincus de connaître mieux que lui ses pensées. A travers ce midrash, c’est ce modèle que les sages entendent déconstruire pour mieux laisser place à la figure de l’érudit modéré et retenu. « Qui est un héros ? demandent les sages. Celui qui maîtrise ses humeurs. Comme il est écrit : ‘Qui est lent à la colère vaut mieux qu’un héros, qui est maître de soi vaut mieux qu’un conquérant.’ »[5].

O combien sommes-nous loin de Jephté et Pinhas…

Notes:

[1] Voir par exemple ce billet du Prof. Jonathan Magonet : http://thetorah.com/did-jephthah-actually-kill-his-daughter/

[2] En vieux français ou latin dans le texte.

[3] Nietzsche, Antéchrist¸ 16.

[4] Midrash Tanhouma, Béhoukotai, chapitre 7.

[5] Avot 4 :1.

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Pin’has ou la place des valeurs modernes dans la Torah

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La place des valeurs modernes dans la Torah[1]

La paracha de la semaine[2] aborde un certain nombre de thématiques aux résonances très contemporaines.

Par exemple, dans une perspective féministe, il serait remarquablement facile de lire l’épisode des filles de Tselofkhad[3], ces femmes qui réclamèrent (et obtinrent !) que la loi juive leur reconnaisse le droit de percevoir un héritage, comme la première fois où des femmes juives prirent l’initiative de faire évoluer le Judaïsme vers plus d’égalité entre hommes et femmes. En effet, les femmes étaient jusqu’alors complètement exclues du droit juif des successions.

Toutefois, dans ce billet, je souhaite aborder cette problématique sous un angle plus général, et poser la question de la place à donner, dans la vision théologique de l’orthodoxie moderne[4], à des valeurs et idéaux éminemment modernes tels que (entre autres) le féminisme, la tolérance, l’inclusion, l’égalité, la justice sociale, etc.

Ne nous leurrons pas. Il ne s’agira pas pour nous de résoudre ici, en quelques paragraphes lapidaires, toute la difficile problématique du rapport entre valeurs juives traditionnelles et valeurs occidentales modernes. Que ce rapport soit partiellement conflictuel est sans doute évident pour tous nos lecteurs ; c’est un thème que nous avons déjà évoqué dans le passé, et que nous espérons aborder à nouveau dans le futur.

Non, il s’agira surtout pour nous, en tant que juif pratiquant, d’entamer ici un début de réflexion quant à l’importance des valeurs morales contemporaines dans notre système éthico-religieux en général ; donc, via une dracha, d’affirmer essentiellement une position de principe, et non de fournir une analyse philosophique et juridique détaillée.

* * * * *

Notre point de départ sera une interrogation classique de la littérature exégétique traditionnelle : quel est le dénominateur commun entre les différentes parties de la paracha ?

La Sidra de Pin’has contient en réalité quatre parties distinctes ; outre l’épisode des filles de Tselofkhad déjà mentionné, nous trouvons encore trois passages supplémentaires : la fin du récit de Pin’has, ce zélote qui tua de sa propre initiative deux individus (un homme juif et une femme midianite) qui se livraient à la débauche publique ; ensuite, un recensement démographique du peuple juif, tribu par tribu, à la veille de l’entrée en Terre d’Israël ; et finalement, la Torah décrit les Moussafim, des « sacrifices supplémentaires » (bœufs, agneaux, farine, …) que les Hébreux devaient offrir sur l’autel, lors du Chabbat et des Fêtes, en complément des autres animaux sacrifiés quotidiennement. Quel est donc le thème commun à tous ces éléments en apparence disparates ?

Je voudrais suggérer que la Torah traite ici d’une seule et même question essentielle : le rapport entre ce qui est ordinaire et ce qui extraordinaire ; entre le routinier d’une part, et l’exceptionnel de l’autre : quel équilibre doit-on trouver entre ces deux pôles existentiels ?

Reprenons la liste des 4 sujets traités dans la Paracha, en commençant par les Moussafim. A première lecture, la mention de ces « sacrifices supplémentaires » semble ici complètement hors-sujet ; en effet, c’est en principe le livre du Lévitique (Vayikra) qui discute en détails les lois liées aux sacrifices, et non pas le livre des Nombres (Bamidbar), dans lequel nous nous trouvons.

Tentons de comprendre le message de la Torah sous l’angle du rapport entre l’extraordinaire et l’ordinaire : dans cette optique, le sacrifice de Moussaf, apporté exclusivement les jours de Chabbat ou de Fêtes, représente l’exception, alors que le sacrifice quotidien (Tamid) est quant à lui la norme.

Sur cette base, la Torah suggère ici que le Moussaf n’a aucune existence indépendante : il ne peut être amené sur l’autel que postérieurement à l’offrande quotidienne. Les versets ne cessent d’ailleurs de le marteler dans la paracha : le Moussaf doit être fait « ‘Al ‘Olat ha-Tamid », soit en plus du sacrifice quotidien.

Le Moussaf représente ici l’exceptionnel, mais cette exception perd tout son sens si elle est déconnectée de la norme qu’est le Tamid.

Passons maintenant aux autres parties de la Sidra (le recensement démographique du peuple juif, les récits de Pin’has et celui des filles de Tselofkhad), qui présentent en substance un message identique.

Le Midrash[5] avance l’idée suivant laquelle les nations du monde soupçonnaient les oppresseurs Egyptiens d’avoir profité de l’esclavage pour violer des femmes juives, et engendrer ainsi des bébés à l’origine douteuse ; or, affirme le Midrash, dans les faits, tel n’avait pas été le cas.

Afin de témoigner de l’intégrité familiale du peuple juif, Dieu ordonna donc de procéder à un recensement, et fit apposer, dans les versets de la Torah, les lettres de Son nom à celui de chaque famille juive, un Heh avant et un Youd après[6] – comme pour dire que la Providence divine préside au bon déroulement de la généalogie juive.

Posons maintenant que les masses du peuple juif représentent la norme, et que des personnes telles que Pin’has ou les filles de Tselofkhad représentent des exceptions, et nous percevons que c’est le même binôme qui est une nouvelle fois abordé.

C’est que la Torah jette un nouvel éclairage sur les actions de Pin’has et des filles de Tselofkhad : ces personnes extraordinaires ne sortent pas de nulle part ; elles sont les descendantes d’une longue liste d’ancêtres, et appartiennent à cette riche tapisserie humaine que l’on appelle le peuple juif. Les personnes exceptionnelles sont liées, via leur sang, via leurs gènes, au reste de l’histoire d’Israël.

Ainsi, que l’on regarde le rapport du Moussaf au Tamid, ou celui de l’individu héroïque à la collectivité entière, un même et unique message émerge de toute la paracha de Pin’has : l’exceptionnel ne saurait jamais remplacer le quotidien ; au contraire, il exprime en réalité le potentiel inhérent à ce dernier.

L’ordinaire et l’extraordinaire : nous avons tant besoin de la présence de ces deux éléments dans nos vies ! Nier toute possibilité que l’extraordinaire fasse irruption dans nos existences revient tout simplement à nier l’Histoire, dont les lents processus amènent de temps en temps nos existences à certains points de confluence remarquables ; à l’opposé, rejeter l’ordinaire, et c’est toute l’importance du moment qui est à jamais perdue, et nous sommes privés de tout contexte permettant d’appréhender la pertinence et la signification des événements qui nous assaillent.

* * * * *

Revenons maintenant à notre interrogation de départ : la place des valeurs contemporaines dans une approche orthodoxe moderne.

A mon sens, toutes ces valeurs que j’ai mentionnées initialement – la tolérance, l’inclusion, l’égalité, la justice sociale, et d’autres encore – représentent une sorte de Moussaf. En d’autres termes, elles sont une sorte « d’offrande supplémentaire » : une opportunité exceptionnelle, d’un point de vue historique, de progresser dans notre compréhension du Transcendant, dans notre vision morale, dans notre appréhension de ce qu’une rencontre avec le Divin implique dans nos vies privées et dans notre société.

Affirmer cette exceptionnalité revient dans notre approche à faire deux choses : à reconnaître le côté essentiellement positif des valeurs humanistes modernes ; mais aussi à poser que ces dernières ne sauraient jamais se substituer à la norme, au Tamid, lequel est représenté dans ma vision par la pratique des mitsvot et l’étude de la Torah.

Lorsque la majorité (ou la totalité) des messages que nous prêchons, au nom de la Torah, tourne en réalité autour des valeurs humanistes modernes ; lorsque notre principal combat devient, au nom du Judaïsme, l’inclusion des minorités et le respect de l’Autre : alors je soutiens qu’un certain équilibre est rompu. La Torah ne saurait être réduite à la justice sociale ou à toute autre forme d’idéal, aussi élevé fût-il.

L’un des dangers qui guette l’orthodoxie « ouverte » est d’oublier ce lien fondamental qui forme le cœur du message de notre paracha. Et ma critique est ici dirigée en interne : nous devrions sans doute parler plus souvent, écrire plus souvent, nous souvenir plus souvent de ces messages qui forment la trame du Judaïsme traditionnel ; des valeurs et des idéaux aussi classiques que, par exemple, l’importance de consacrer chaque jour un certain temps à l’étude de la Torah, de prier avec ferveur et sincérité, de procéder à des efforts en vue d’améliorer nos traits de personnalité (tikkoun ha-middot), et d’autres.

Ces enseignements traditionnels, la pratique des mitsvot prise dans sa globalité, représente à mes yeux le korban ha-tamid, l’offrande quotidienne de notre service divin ; et mon vœu le plus fervent est que notre vision d’une société juste et inclusive soit bâtie ‘al ‘olat ha-tamid, comme un deuxième étage émergeant de nos pratiques et de nos valeurs traditionnelles juives, et non comme un pâle ersatz de ces dernières.

Pin’has est un appel à trouver le juste équilibre entre deux éléments fondamentaux de nos existences : entendons ce message. Chabbat chalom !

Notes:

[1] Je remercie Gabriel Abensour pour ses commentaires critiques sur une précédente version de ce texte ; certaines idées de l’essai ont été reprises de M. Weinberg, Frameworks, Au Desert, pp. 256 ss.

[2] En tout cas en-dehors d’Israël. En Israël, cette paracha a été lue publiquement la semaine derniere.

[3] Bamidbar chapitre 27.

[4] La même question se pose d’ailleurs aussi pour le mouvement Libéral et le mouvement Massorti…

[5] Repris par Rachi ad loc.

[6] Par exemple, le nom חצרון devient dans les versets ה-חצרונ-י. Cf. Bamidbar 26 :6.

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Quel(s) sens contemporain(s) aux 3 semaines précédant Ticha Beav ? Par Joël Benhamou

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Né à Périgueux en 1961, Rav Joël Benhamou a eu un double cursus : études et carrière professionnelle dans le High-tech et études juives auprès des plus grands maîtres du Judaïsme français, dont principalement le Rav Eliahou Abitbol. C’est aux EEIF, qu’il a, très jeune, été touché par le « virus » de l’engagement. Il a créé, il y a 11 ans, la Yéchiva des Etudiants de Marseille, qu’il dirige depuis.

La question de « l’actualité », ou tout au moins de « l’actualisation », est une question indispensable, sur ce sujet comme sur tous les autres, comme sur tous nos textes. Elle est néanmoins délicate dans la mesure où particulièrement quand il s’agit d’actualiser, on se retrouve vite aux prises avec les lieux communs qui circulent, des tendances et des modes qui touchent aussi la pensée et le religieux…

Qui plus est, la destruction des deux Temples et les exils qui s’en sont suivis nous renvoient aussi au rapport à la terre d’Israël, sujet ô combien sensible aujourd’hui, sur lequel les esprits s’échauffent vite et les dogmatismes prennent le pas… D’autant que la question qui m’a été posée, par nos amis Emmanuel et Gabriel, est entre autres de comprendre quel en est le sens pour nous au XXI° siècle, alors que Jérusalem est reconstruite, et plus largement peuplée que jamais.

Je ne vais me pencher, dans le cadre de ce billet, que sur le fond, c’est-à-dire sur les causes rapportées par la tradition à la destruction du Temple, et à leur actualité. La présence massive de Juifs en terre d’Israël fera, pourquoi pas, l’objet d’un autre article.

Deux assertions talmudiques se complètent. La première du Talmud de Babylone[1] qui cherche un sens aux destructions des Temples : le premier l’a été à cause des transgressions des trois interdits les plus graves[2], et le second l’a été à cause d’une haine gratuite, dont nous allons devoir définir la nature, qui sévissait au sein du peuple juif… La deuxième occurrence, issue quant à elle du Talmud de Jérusalem[3], affirme, opportunément pour notre question, que « Toute génération qui n’a pas connu la reconstruction du Temple, est considérée comme l’ayant elle-même détruit » ! Une manière de signifier que la problématique soulevée par la destruction du Temple relève d’une permanence de chaque instant, tant que nous ne vivons pas leur reconstruction !

On retrouve cette notion de haine gratuite dans une autre catastrophe : l’épidémie qui a décimé 24 000 élèves du grand Rabbi Akiva.

Ce travers préoccupe très gravement les Maîtres du Talmud, qui vont instituer les deux périodes de deuil les plus importantes (en taille, et donc quelque part aussi en importance) du calendrier hébraïque : celle que nous vivons actuellement entre le 17 tamouz et le 9 av, et celle du Omer.

Beaucoup de restrictions, comme l’interdiction d’écouter de la musique, de se raser, …etc… mais surtout, de mariage ! Ce dernier point est énorme au regard de l’importance majeure, capitale, qu’on lui accorde de par ailleurs[4].

Les Maîtres semblent donc déceler dans cette haine gratuite quelque chose qui ruinerait, c’est le cas de le dire, toute vie juive de l’intérieur[5]. Ils décident donc d’instituer ces périodes de deuil comme marqueur, tel un rappel à l’ordre.

Mais, comme précisé plus haut, nous nous devons de tracer les contours de cette haine gratuite. J’aimerais rapporter là un enseignement de mon maître, le Rav Eliahou Abitbol[6], qui soulignait la difficulté à définir cette haine qualifiée de gratuite. Difficile, dans la mesure où le fameux passage du Talmud qui y voit les germes de la destruction du second Temple, précise qu’elle sévissait dans une génération « qui s’adonnait à la pratique de la Thora, à son étude et à la bienfaisance sociale ». La Thora interdit d’haïr son prochain[7]. Comment, dès lors, le Talmud peut-il affirmer que ces gens « pratiquaient la Thora » ? De plus, que cette haine soit dite gratuité signifie, a minima, que celui qui la subit n’a rien commis pour la justifier ! Quel peut être le moteur et sa nature d’une telle haine pour cohabiter avec une vie de Thora ? Qui plus est dans le cœur d’hommes, de grands hommes, s’adonnant à l’étude de la Thora !

La question se trouve confirmée par le drame des élèves de Rabbi Akiva, qui étaient nécessairement la crème d’Israël, et qui pourtant ont failli dans cet écart qu’on peut qualifier de criminel au regard de la comparaison talmudique qui est faite entre leur comportement et les trois interdits capitaux[8].

Rav Eliahou a alors exprimé, durant un long développement que j’espère ne pas trahir en le résumant en ces quelques mots, qu’il fallait traduire l’expression haine gratuite par haine idéologique ! En effet, c’est celle qui nous pousse à haïr et rejeter l’autre sans que celui-ci n’ait commis d’autre forfait que de penser différemment, d’être d’une autre chapelle, oh pardon, d’une autre synagogue… Le piège de la pensée est précisément de s’enfermer sur elle-même, et ce proportionnellement à sa puissance et sa pertinence !

Cette haine est totalement gratuite et non seulement cohabite avec une vie de Thora, mais prend le risque de se retrouver même renforcée par celle-ci ! Plus on voudra vivre la Thora, plus on voudra la connaitre, la défendre, et plus on pourrait trouver légitime (voire nécessaire !) d’imposer sa compréhension aux autres, et de nier à son frère le droit de penser différemment.

Bien sûr, nos Maîtres ont perçu le vice et le danger d’une telle attitude, et ont instauré des clignotants tout au long du calendrier juif. C’est l’objet de ces longues périodes de deuils du Omer et de Tamouz et Av.

Je crois malheureusement qu’il est peu de dire qu’aujourd’hui encore nous n’en n’avons pas fini avec cette haine idéologique, et qu’entre séfarades/ashkénazes, hassidim/mitnagdim, sionistes/antisionistes, religieux/non-religieux, et j’en passe, il existe malheureusement ce type de rejet.

Entendons-nous bien, les Maîtres de la tradition ne nous proposent pas pour autant une entente mièvre et puéril, du style « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil »… Ils promeuvent une exigence extrême de la pensée, et parallèlement une vigilance aussi forte face aux dérives sociales, souvent corolaires à une pensée radicale. Certes, il s’agit là, d’une véritable position d’équilibriste !

C’est la réflexion que je nous propose pour cette période : Comment développer, chacun de notre côté et dans le cadre de notre socialité en fonction de notre sensibilité, une véritable pensée exigeante, forte et profonde, tout en évitant cette haine idéologique qui consiste au rejet de celui qui pense différemment ?

Notes:

[1] Talmud Babli Yoma 9B

[2] Il s’agit du meurtre, des interdits sexuels graves et de l’idolâtrie. Le talmud ne manque pas de faire l’équivalence entre la haine gratuite et ces 3 transgressions majeures.

[3] Talmud Yérouchalmi Yoma 5B. Il est à noter qu’en amont dans le texte, il est rapporté les mêmes causes de la destruction du premier Temple que dans le Talmud Babli, avec le même parallèle entre les trois interdits capitaux et la haine gratuite.

[4] Il est peu dire que le mariage est une chose très importante dans la tradition juive, comme seule illustration je ne citerai qu’une halakha qui interdit à un individu de vendre son Sepher Thora, sauf si c’est pour lui permettre d’étudier la Thora ou de se marier !

[5] Voir note 2.

[6] Fondateur de la Yéchiva des Etudiants de France à Strasbourg en 1968. Il a été l’élève de grands maîtres du Judaïsme contemporain, comme entre autres Rav Léon Ashkénasi-Manitou, Rav Chlomo Wolbe ou encore Rav Guédalia Nadel. Il est lui-même à l’origine d’une véritable école de pensée qui a égrainé des élèves à travers la France et même au-delà, dont certains sont bien connu, comme Benny Lévy. Il poursuit inlassablement son enseignement quotidien à Strasbourg.

[7] Vayikra (Lévitique) XIX-17

[8] Voir note 2.

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Quand la tsnyout est impudique

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Article publié dans le numéro 164 du magazine Tenou’a pour lequel j’ai le plaisir d’écrire régulièrement et que je recommande chaleureusement pour sa qualité et la diversité des intervenants. (lien vers le site de Tenoua)

Un souvenir. J’ai 16 ans, j’étudie en binôme une page du Talmud tirée de Kidushin, le traité qui porte sur le mariage juif. Nous sommes un groupe de jeunes étudiants orthodoxes évoluant dans une école de garçons, où la séparation entre les sexes est présentée comme une nécessité juive absolue. Pourtant, nous étudions un traité où les femmes sont constamment présentes en tant qu’objet d’étude. Nous discutons tout aussi bien de la façon dont un homme acquière (sic) une femme que de la psychologie féminine vue par la tradition rabbinique. Alors que le Talmud est empli de débats, de réfutations et de questionnements, lorsqu’il s’agit des femmes cette tradition devient subitement monolithique.

Une femme s’acquière et si nous doutons un instant qu’il existe une similitude juridique entre cette acquisition et celle d’un bien immobilier, on nous précise que les règles d’acquisition des femmes s’apprennent du parallèle avec l’achat du terrain de Hébron où Abraham enterra son épouse. Quelques pages plus loin, le Talmud discute des similitudes et différences entre l’acquisition d’une épouse et l’achat d’une esclave, tout un programme.

La psychologie féminine imaginée par les hommes est également étayée. On y apprend que la nature d’une femme est dans la passivité (« La nature féminine est de se laisser acquérir et celle de l’homme est d’acquérir ») et de cette affirmation découle la nature du mariage juif. Mieux encore, la femme « préfère deux corps à un corps seul » ou, pour paraphraser le dicton français, une femme préfère être mal accompagnée que seule. Chacune de ces affirmations est lourde d’implications pratiques sur le statut de la femme juive, jusqu’à nos jours.

Ne vous y trompez pas, ces quelques lignes ne viennent pas condamner le Talmud. Pris dans son contexte historique, on comprend au contraire que ce dernier fit avancer les droits des femmes. À une époque où cela était loin d’être évident, la législation talmudique interdit les mariages forcés, rejette le mariage des filles mineures et développe un contrat juridique (la ketouba) visant à garantir une autonomie économique pour la femme en cas de divorce ou de veuvage. Cependant, si la loi juive sut continuer la réflexion talmudique et évoluer dans bien des domaines, celle-ci devient soudainement figée et dogmatique quand il s’agit du statut de la femme.

À mes yeux, la source du problème n’est nulle autre que la tsnyout. Par ce terme, je n’entends pas la simple pudeur, dont je traiterai à la fin de ce texte, mais un paradigme patriarcal établissant une hiérarchie entre les sexes basée sur la force et la domination masculine. Car la tsnyout a depuis longtemps transcendé son sens littéral (pudeur) pour devenir un concept abstrait qui englobe la déshumanisation des femmes et la privation systématique de leur autonomie.

Mes propos peuvent probablement paraître exagérés, particulièrement à l’oreille orthodoxe. J’invite le lecteur à réfléchir un instant. Que dit-on quand on affirme qu’une femme ne peut être témoin ? Qu’elle ne peut être présidente voir même occuper une quelconque fonction publique ? Qu’elle doit attendre patiemment le bon vouloir de son époux pour obtenir le divorce ? On dit, en substance, qu’en tant que femme elle est privée de son témoignage ou de sa responsabilité, que ses droits sont secondaires à ceux de son mari, qu’elle n’est pas un être autonome.

Ainsi, la tsnyout s’est développé sur deux assomptions partagées par toutes les sociétés patriarcales. Ces assomptions, Simone de Beauvoir les résume parfaitement et simplement :

  1. « Il y a un type humain absolu qui est le type masculin. La femme a des ovaires, un utérus voilà des conditions singulières qui l’enferment dans sa subjectivité. »[1]
  2. « Elle apparaît essentiellement au mâle comme un être sexué pour lui, elle est sexe, donc elle l’est absolument. Elle se détermine et se différencie par rapport à l’homme et non celui-ci par rapport à elle; elle est l’inessentiel en face de l’essentiel. Il est le Sujet, il est l’Absolu elle est l’Autre. »[2]

De ces deux assomptions, découle le concept moderne de tsnyout qui enferme la femme dans son statut d’Autre, d’objet d’étude sexué. Si une femme élève sa voix pour dénoncer les absurdes discours masculins sur son corps, sa subjectivité est immédiatement pointée du doigt. Un des arguments classiques pour refuser aux femmes le droit d’être juge ou simplement présidente du Consistoire (exemple ô combien actuel) est la supposée « sensibilité » féminine qui l’empêcherait d’avoir un jugement neutre. En langage plus populaire et universel (excusez-moi d’avance) : « Elle a ses règles celle-là ou quoi ? ». C’est avec cette élégance toute masculine que les hommes oublient leurs propres flux hormonaux et se présentent en acteurs neutres, scrutant le monde avec une objectivité imaginaire. La tsnyout est donc un paradigme totalitaire qui se base sur une argumentation circulaire.

            Un autre souvenir, bien plus proche. J’ai 24 ans et je milite pour aider une jeune femme agouna à recevoir son guet. Mais en fait, pourquoi seul l’homme juif peut-il divorcer, laissant sa femme dépendante de son bon vouloir ? Voilà l’une des tristes conséquences pratiques de la vision talmudique susmentionnée, selon laquelle « La nature féminine est de se laisser acquérir et celle de l’homme est d’acquérir ». Cette affirmation, contrairement à tant d’autres, ne sera jamais contestée par notre étudiant religieux. Il lui manque un regard extérieur, féminin, l’obligeant à confronter la théorie à la réalité sociologique. Sans contestation, aucune alternative ne sera envisagée. Sans alternative, la femme juive continuera à sacrifier son autonomie juridique lors de son mariage.

            Me voici arrivé au moment présent. Une courte rétrospective me fait réaliser que mon vécu et mon environnement social est bien plus pudique qu’il y a 10 ans. Durant mon adolescence pourtant si emplie de tsnyout, mon monde conceptuel m’empêchait de discuter avec une femme sans y voir une connotation sexuelle. Étudier avec une femme me paraissait être un acte d’une intimité impensable. La voix d’une femme était nudité. La raison principale ne relevait pas d’une frustration sexuelle ou d’une puberté difficile. La raison, c’était la tsnyout, ce paradigme qui m’empêchait de voir une femme autrement que comme un sexe, pour citer à nouveau Simone De Beauvoir. Y a-t-il plus impudique que cette conception des choses ?

            Seules dix années séparent mon premier souvenir de mon présent. Dix années durant lesquelles j’ai eu la chance de vivre une véritable libération cognitive qui se résume à un changement de paradigme simple : le type humain englobe désormais pour moi hommes et femmes. Ce changement ne fut pas le fruit d’une révélation soudaine mais de rencontres, d’échanges et d’études. Je le dois à des femmes chez lesquelles j’ai eu la chance d’apprendre et d’étudier. Pour la première fois, je découvrais des femmes-sujets. L’adolescent que j’étais se s’aurait offusqué du manque de tsnyout de mon monde actuel, si mixte, si divers. Quelque part dans mon subconscient, je m’adresse à cet ado curieux et avoue sans détour que mon environnement n’est effectivement pas tsnyout. Mais n’est-il pas bien plus pudique ? Là où mes yeux voyaient un sexe, apparait désormais un humain, un sujet genré mais un sujet avant tout.

            On parle souvent de l’importance de « préserver ses yeux » de visions impures, mais aucun habit, aucun foulard ne pourra jamais permettre la préservation des yeux soumis à un esprit enchainé par la tsnyout. La surenchère de tsnyout à laquelle nous assistons parfois ne peut avoir de fin tant que l’individu se montrera incapable de se libérer de sa perception des femmes. À l’inverse, la préservation du regard est à la portée de tous. Nul besoin de clore ses paupières ou de boucher ses tympans. Il suffit simplement de rencontrer la femme dans son humanité, dans sa subjectivité si profonde et pudique. Lévinas disait : « C’est lorsque vous voyez un nez, des yeux, un front, un menton, et que vous pouvez les décrire, que vous vous tournez vers autrui comme vers un objet. La meilleure manière de rencontrer autrui, c’est de ne même pas remarquer la couleur de ses yeux ! »[3]. Voilà ce qu’est la pudeur. Voilà ce que devrait être la tsnyout.

Notes: 

[1] Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe, éd. Gallimard, 1949, Tome I, p. 14.

[2] Ibid.

[3] E. Levinas, Ethique et infini, Dialogues avec Philippe Nemo, Paris, Fayard, 1982, p. 91.

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Du jugement au pardon : de Roch Hashana à Kippour

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14483970_10205313591998999_1550936082_nNée en 1963, Janick Dahan a suivi des études de droit à la faculté d’Aix en Provence et y a obtenu son doctorat  en 1994. Maître de conférence à la faculté de droit de Toulon et du Var depuis 1995, Mme Dahan travaille notamment sur des sujets de société,qu’elle traite sous l’angle du droit français, mais également parfois du droit comparé et notamment du droit hébraïque.

Impliquée dans la communauté juive de Marseille, Janick Dahan est secrétaire générale du Centre Fleg, qui est un  centre culturel juif qui poursuit une double vocation. D’une part il a pour objectif de participer à la transmission de l’identité juive avec pour mission de valoriser le patrimoine culturel des différentes communautés juives dans toutes leurs dimensions et leur diversité auprès du plus grand nombre. D’autre part, il est aussi acteur du dialogue interculturel.

Du jugement au pardon : de Roch Hashana à Kippour[1]

1-Malgré les rites traditionnels du céder de Roch Hashana , avec le miel, les grenades et bien d’autres choses sympathiques autour de la table familiale, il faut bien reconnaitre que le calendrier juif, et la nouvelle année commencent de manière bien austère. Les fêtes juives sont en général des moments de réjouissance.  Nous fêtons le bonheur de la liberté à Pessah, nous fêtons la joie du don de la Torah à Chavouot, et nous fêtons la joie du partage à Soukot.  A Roch Hashana , nous fêtons la création de l’homme et la nouvelle année,  non pas dans la joie, mais dans l’esprit du jugement (Yom Hadin)),  du souvenir (Yom Hazikaron) et du son émouvant du shofar (Yom téroua) [2]. Aussi, cette fête nous inspire une certaine appréhension, une sorte d’épée de Damoclès  semble planer au dessus de nous : nous sommes jugés par Dieu,   pendant ces 2 jours, et à partir de là, s’ouvre une période de 10 jours assez terrifiants,  au bout desquels chacun d’entre nous serait  inscrit dans le livre de la vie ou de la mort ! Cette période redoutable prend fin, par le jour de Kippour, qui est un moment  de jeûne, et de pardon. Il faut bien reconnaître, qu’il y a un certain contraste avec ce sentiment de légèreté et de réjouissance qui caractérise le nouvel an dans notre environnement.  Pourquoi une telle austérité au moment ou nous abordons la nouvelle année et nous fêtons la création de l’homme  et du monde? Que vient donc faire cette idée de pardon, dans la logique de justice  et de rétribution que semblent impliquer les jours précédant Kippour ? Enfin, si nous sommes ainsi jugés par Dieu,  alors pourquoi terminer par un pardon cette période de jugement ? Ne serait t-il pas plus logique d’inverser l’ordre ?

2- Dans cet article nous aimerions apporter des éléments de réponses en sortant du cadre spécifique de la tradition juive, et en se situant dans une perspective, historique, philosophique et  psychologique. Ce regard nous permet de constater  que le lien entre le pardon et la justice est un des fondements de l’humanité , et bien plus une condition indispensable au nécessaire renouveau qui permet aussi bien individuellement que collectivement de pouvoir aller vers l’avenir.

I : Lien entre le pardon et la justice

3- Ces 2 notions de jugement d’un côté et de pardon et d’oubli des fautes de l’autre,  sont étroitement liés.  Aussi loin que l’on peut remonter dans l’histoire , on constate que la volonté de pardonner ou d’oublier certaines offenses est concomitante à celle de punir.  Dès que l’état s’est  préoccupé de réprimer des actes considérés comme anti-sociaux, il s’est donné aussitôt les moyens d’effacer certains de ces actes en organisant un droit de pardon et d’oubli.  Ainsi,  la pratique des institutions de clémence, telles que la grâce et l’amnistie remonte aux âges les plus anciens de l’humanité.[3]

Demander pardon à celui que l’on a offensé,  c’est d’une part reconnaître que le crime est crime et d’autre part, qu’il n’est pas la conséquence naturelle des choses.  L’offenseur par cet acte prend en considération la souffrance de l’autre et s’engage à ne plus recommencer. L’offensé prend sur lui en rendant le bien par le mal[4] . Le pardon est donc une réponse à l’offense au même  titre que la punition, « Il est partie prenante d’un combat incessant pour la justice, qui rétribue les faits passés et distribue les possibles avenir »[5]  Il apparaît ainsi  comme une réponse aux multiples formes de la violence, réponse aussi ancienne et perspicace que la violence elle-même[6].

4- Cette exigence du pardon est manifeste dans le récit Biblique. Dans la genèse, le terme d « ELOHIM » (Non de Dieu) sous son attribut de justice) apparaît dès le début du récit de la création du monde matériel. Par contre, le tétragramme (nom de Dieu dans son attribut de miséricorde) apparaît en même temps que la création de l’homme[7].Dans l’Exode, Dieu se révèle à Moise en énonçant les treize attributs de la miséricorde, dont le pardon des péchés[8] .Le message transmis est celui de la nécessité de la miséricorde aux côté de la rigueur dès qu’il s’agit de juger l’homme.  Le récit qui en est la base abonde d’illustration de pardons, mais le récit le plus significatif est celui de Jonas. Envoyé par Dieu pour avertir les habitants de Ninive que la ville sera détruite, il s’insurge contre Dieu, lorsque celui-ci décide de pardonner à la ville repentie. Cette histoire illustre le message du repentir et du pardon qui s’impose à l’homme et dont le sens profond n’est connue que de Dieu seul[9].

5- Cette exigence du pardon se manifeste aussi dans les 2 autres religions monothéistes. Elle est l’un des fondements essentiels du christianisme. C’est l’idée de don gratuit qui caractérise les Evangiles et les paroles de Jésus. « Le pardon des offenses n’est pas seulement une condition préalable de la vie dans le Christ ; il est un des éléments essentiels d’une obligation sans fin »[10].  Les évangiles abondent d’exemple ou Jésus accorde le pardon, ou du moins se refuse à juger à la place de Dieu. Lorsqu’on lui amène la femme adultère afin qu’elle soit lapidée, il dira : « Que celui de vous qui est sans péché lui jette la première pierre ». A ces mots, les accusateurs se retirent un à un. Jésus s’adressa alors à la femme : « Moi non plus je ne te condamne pas. Va, désormais ne pèche plus »[11]. Jésus dans les évangiles ne se venge pas, il ne prie pas en implorant la justice, mais réclame à Dieu le pardon pour les pécheurs[12]. Cette exigence du pardon se manifeste dans le catholicisme par l’obligation de la confession dit « sacrement de la réconciliation » . Il s’agit d’une cérémonie, d’un ensemble de paroles et de signes par lesquels l’église exprime le pardon de Dieu à ceux qui le demandent[13]. Dans l’Islam, le nécessité du pardon se manifeste à chaque étape de la vie de l’homme. Dans les 5 prières quotidiennes le musulman peut demander le pardon. Le mois du Ramadan représente dans l’année une longue période privilégiée pour se tourner vers Dieu et implorer son pardon. Le pèlerinage à  la Mecque est une occasion de se faire pardonner ses fautes[14].

6- Le thème du pardon est aussi présent dans la littérature. Le mot pardon apparaît pour la première fois dans la tradition latine d’une fable d’Esope. Le terme utilisé est celui de « perdonare » qui signifie donner totalement[15]. Certains grands romans du XIXème siècle  développent l’idée constructive du pardon  en tant qu’acte d’amour. La miséricorde de l’évêque des Misérables de Victor Hugo va conduire Jean Valjean a s’amender[16].  Dans Anna Karénine de Tolstoï, le pardon rend sa dignité au mari offensé[17]. Une véritable poésie et esthétique du pardon est développée par Dostoïevski dans « Crime et châtiment »[18]. Certains sont allés jusqu’à dire que « l’histoire de la littérature est l’histoire de la représentation du pardon ».

7- Enfin, les philosophes présentent le pardon comme une exigence éthique, morale et historique.  O. Abel a pu dire que « le pardon n’est souvent qu’une obligation aussi ordinaire et universelle pour toute société, c’est un fait universel, une obligation aussi ordinaire pour les sociétés que l’obligation à donner, à recevoir, et à échanger[19]. Pour A. Abécassis,  le pardon est une exigence historique, urgente et indubitable[20].

Hannah Arend exprime la même idée : « Le châtiment est une autre possibilité, nullement contradictoire, il a ceci de commun avec le pardon qu’il tente de mettre un terme à une chose qui sans intervention pourrait continuer indéfiniment »[21].

8- Ainsi il apparaît très nettement que le pardon et la punition sont 2 aspects de la logique de rétribution. Lorsque une offense a été commise, deux possibilité se présentent : « soit la punition qui fait payer par une douleur physique une faute morale et rétablit ainsi l’équivalence entre le mal subi et le mal agi ; soit prendre sur soit et décider que la violence précédente était la dernière violence, sacrifier sa vengeance en quelque sorte et rendre le bien pour le mal. [22]

On constate que ce lien entre pardon et justice semble bien être universel et que donc la proximité entre Roche Hashana, les 1O jours de pénitence et le jour de Kippour semble finalement bien naturelle. Il nous faut maintenait comprendre pourquoi ces notions sont si fondamentales pour fêter la création et la nouvelle année, et pourquoi le jugement précède le pardon.

II Le pardon véritable :  condition du renouveau et de l’avenir

9- D’un point de vue aussi bien philosophique que psychologique, le pardon semble être le moyen d’assumer son passé, et de pouvoir se tourner vers l’avenir sans être ainsi  pollué par des résurgences anciennes qui conduisent non pas à construire le futur mais à ressasser le passé.

Ainsi, le pardon est souvent analysé comme une des conditions nécessaires de santé mentale. En effet, celui qui ne pardonne jamais peut se rendre malade à ressasser quotidiennement et à rappeler aux autres et à lui même le crime.  L’’homme du ressentiment et de la rancune est toujours malade et fini par irriter dangereusement[23] son entourage . Le pardon peut être tout comme l’écoute analytique un moyen de parvenir à un renouveau psychique, il s’agit d’un processus psychique vital[24].

V.Jankelevitch[25] insiste sur la notion de pardon , en tant que  remède contre la rancune et l’oubli progressif par le temps. Pour lui, la rancune est la persistance du ressentiment de l’offensé envers l’oppresseur. Le rancunier ne cesse de ressasser ses souvenirs et reste figé sur le passé, ceci l’empêche d’évoluer. Le pardon permet d’assumer, d’intégrer ce passé douloureux, et de pouvoir se tourner  vers l’avenir. « L’agressivité  rancune résiste au devenir ; et le pardon, au contraire, le favorise en le débarrassant des impédimenta qui l’alourdissent ; il nous guérit de l’hypertrophie rancunière ».

10- Néanmoins, il  apparaît fondamental de distinguer le pardon de l’oubli progressif par le temps. Les philosophes insistent sur ce point en affirmant que le pardon n’implique pas l’oubli, au contraire il est mémoire, mais une mémoire différente[26], pardonner implique qu’on se souvienne du crime mais que l’on n’en tienne pas compte sans sa relation au criminel et sur la faute qui marque encore sa mémoire[27]. Il faut donc  faire la différence entre l’oubli par l’usure du temps et l’oubli volontaire décidé pour mettre un terme aux querelles passées et pour pouvoir construire l’avenir sur de nouvelles bases. « L’oubli qui est ouverture, disponibilité en vue de l’avenir doit donc être distingué d’un oubli qui est coupable de négligence et désaffection mortelle ; la différence entre ces deux oublis est aussi grande que la distance entre désintéressement et désintérêt[28]. Au fil du temps, inéluctablement la rancune finit par se dissiper, la ténacité du souvenir et la mémoire est vaincue. Cette « usure temporelle »[29] loin d’être un processus de maturation est une dégradation[30]. « L’oubli a dilué l’hostilité en indifférence. Le temps n’a pas en lui-même une signification morale[31] alors que le pardon est une valeur, il implique une reconnaissance de la faute et repentir, il évite par là-même le danger de l’indifférence par l’oubli. Ainsi dans la perspective psychanalytique le souvenir refoulé n’est pas anéanti, il continue à hanter l’existence et réapparait sous forme de symptôme morbides. L’oubli consiste ici, non pas à perdre son passé, mais à cesser de le dominer. On est le prisonnier du passé au lieu d’être le maitre du souvenir, et on est ainsi complétement incapable d’avancer de  construire[32].

V.Jankéliévich[33] nous mettait ainsi en garde contre ce qu’il appelait la liquidation générale  qui ressemble à un renoncement total voir même un  déni de la faute et qui s’oppose effectivement complètement à l’idée de justice.  Il s’agit dit-il « d’une succédané du pardon qui dispense miraculeusement le fautif de toute indemnité et tient lieu d’explication ou de contribution »[34]. « Celui qui accorde le pardon, c’est à dire le liquidateur n’ose guère affronter courageusement les torts d’autrui pour les pardonner, il ne se soucie pas davantage de reconnaître le néant du péché, il ne prend pas la peine de dénoncer le mal. Le Pardon fait « comme si » au prix d’un effort surhumain, et le liquidateur, lui fait « comme si » par légèreté… ce geste expéditif et si peu philosophique est une caricature du pardon…. La solution du brasier c’est aussi la renonciation au souvenir, à la fidélité et à la permanence, à tout ce par quoi les hommes se différentient des huitres et des médusent. Le quitus que l’on accorde au coupable à la faveur de ce bon débarras peut-il avoir une quelquonque signification morale ? D’autre part, enfin, cette liquidation accélérée est dans le cas de tous les processus naturels et pathologique dont on a voulu bousculer le cours ou escamoter les stades successifs : une fièvre trop vite guérie est une fièvre mal guérie. Précaire est l’oubli, précaire est la paix qu’on retrouve en cinq minutes après avoir jeté au feu tous ses papiers »[35].

Il semble bien que nos sociétés occidentales, devant l’augmentation en masse de la violence et la surcharge carcérale ont  multiplié les mesures de  grâce,  d’amnistie, et d’exemption de peines et ont ainsi créé des machines à distribuer le pardon et l’indulgence , à la faveur de l’indifférence et l’amnésie générale. C’est peut être contre ce danger que cette période de jugement et de pénitence qui précède le pardon veut nous prémunir.

11- La nouvelle année juive qui fête en même temps la création de l’homme, commence avant tout par un travail de mémoire et d’introspection qui est la condition fondamentale du renouvellement. Devant le jugement qui l’attend, le juif scrute ses actes, et au seuil de la nouvelle année,  il se recueille, avant de se lancer sur la route inconnue qui se présente à lui[36]. C’est seulement après ce retour sur soit, après cette introspection , que sa demande de pardon le jour de kippour devant Dieu prend du sens. Il y a une tentation humaine inéluctable qui consiste à tenter de se libérer par une sorte de liquidation générale, comme dit V.Jankélévich, en demandant un pardon facile et sans réflexion sur ses propres actes à tout le monde. Les pratiques des pardons conventionnels et formels à la sortie des synagogues qui s’adressent  à toutes les personnes que l’on croise, voir même les pardons par Facebook ou les réseaux sociaux ne sont–elles pas des illustrations parfaites de cette caricature du pardon que dénoncent les philosophes. Si la nouvelle année est un moyen de renouvellement, une sorte de renaissance, un commencement comme l’était le jour de la création,  encore faut il alors de façon responsable, profonde et réfléchi savoir se remettre en cause, savoir reconnaître ses failles, afin de ne pas les répéter inlassablement. Ce n est qu’à ce prix que nous pourrons alors ressentir une sensation de libération et de légèreté lorsque nous entendrons la prière de la Néila. On peut ainsi maintenant comprendre que nous commençons l’année avec cet esprit d’austérité, de rigueur et de jugement qui seule peuvent conduire au pardon véritable.

Mais au final, nous retiendrons que  la notion la plus importante, est celle du pardon. Elle est d’une telle importance qu’elle est présentée comme un préalable à la création. Sans repentir, la création du monde n’était pas durable, car la miséricorde divine n’aurait pu s’exercer. [37] Ainsi si le jour de Yom Kipour[38] est considérée comme la commémoration suprême de toutes les autres fêtes juives, cela signifie que le « pardon est la condition du calendrier et donc de l’histoire[39].

Notes:

[1] Ces réflexions sont issues de ma thèse : Janick Roche Dahan : L’amnistie en droit privé- Thèse soutenue le 10 janvier 1994 à l’université de droit d’Aix en Provence-

[2] Gilles Berheim : le soucis des autres,, au fondement de la loi juive, éditions Calman Lévy, p 49, note 2 P 290

[3] J.H Syr, Punir et réhabiliter, Edition économica, 1990, P 15.  J.Roche Dahan, Op cit.

[4] Paul Ricoeur, le conflit des interprétations, Paris, Ed du seuil 1969- « sur l’interprétation du mythe de la peine ». P 349.

[5]Ibid.

[6] O.Abel, in revue Autrement, Le pardon- 1992-P 137.

[7] Eli Munk, La voix de la Torah, la génèse

[8] Exode 94-7.

[9] X de Chalendar, Le pardon, Ed.Lechêne de Mambré 1992

[10] S.Breton, Grâce et pardon, in revue des sciences philosophiques et théologiques, 1986-P 189.

[11] Evangile selon Sain Jean.

[12] X.Chalendar, Op cit-P.102.

[13] Ibid, p 113.

[14] N.Mahfouz, Le pardon, Ed Le  chène de Mambré, 1992-P 123.

[15] A.Gouhier, Pour une métaphysique du pardon, Ed de l’Epi 1969- P 35-36.

[16] Victor Hugo, « les misérables, Garnier Flammarion 1967.

[17] Leon Toltoï, « Anna Karénine », Librairie Stock 1960- P 463.

[18] Julia Kristeva, Dostoïevski : l’écriture de la souffrance et le pardon, in soleil noir, Paris, Gallimard 1987- P 200 : «  Le pardon est anti historique, il brise l’enchainement des effets et des causes, des châtiments et des crimes, il suspend le temps des actes. Un espace étranger s’ouvre dans cet intemporalité qui n’est pas celui de l’inconscient sauvage, désirant et meurtrier, mais sa contrepartie : sa sublimation en connaissance de cause, une harmonie amoureuse qui n’ignore pas ses violences mais les accueille ailleurs ».

[19], A.Abécassis, L’acte de mémoire, in revue Autrement- p 12 et 228.

[20] Op cit

[21] Hannah Arendt : « La condition de l homme moderne »- Paris Calman-Lévy, Agora- 1988-P 307

[22] J.Roche Dahan,  op cite, p 604

[23] A. Abécassis- Op cit- P 139.

[24] D. Huisman- Encyclopédie de psychologie- Ed.F.Nathan- 1962-P 131

[25] V.Jankelevitch :le pardon- Ed Aubier 1967-P 23.

[26] O.Obel, op cit, p 219-

[27] A. Abécassis- op cit- P 140, en ce sens Cf Jacques Ellul « car tout est grâce », in revue autrement, op cit- P 121 et 135 ; Julia Kristéva- op cit- p 87 ; S Breton- Op cit- P 102-103 ; Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, 1° partie « des chaires de vertu ». Gallimard 1965.

[28] V.Jankélevitch- Op cit, P 43-

[29] Expression utilisée par V.Jankelevitch- Ibid.

[30] Ibid, p 41

[31] Ibid, P 53

[32] D. Huisman, op cit

[33] op cit, -P 23.

[34] Ibid p 131

[35] ibid, p 136-137

[36] G.Berheim, op cit p 290, note 2.

[37] Nosson Scherman, Yona, édition Colbo, 1990, PXL.

[38] E.Lévinas, Quatre leçons talmudiques, Edition de minuit- Paris 1968

[39] A.Abécassis, L’acte de mémoire, in revue Autrement-P 155.

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Au sein du Saint des Saints

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Article publié dans le numéro 165 du magazine Tenou’a pour lequel j’ai le plaisir d’écrire régulièrement et que je recommande chaleureusement pour sa qualité et la diversité des intervenants. (lien vers le site de Tenoua).

La prière du Moussaf, troisième des cinq prières de Kippour, occupe une place centrale de par son contenu et correspond historiquement au cœur de la cérémonie qui se déroulait au Temple lors du saint jour. Pourtant, chez bien des fidèles elle est la prière la plus fastidieuse, longue, répétitive et psalmodiée par l’officiant. Dans ce court article, je voudrai raviver la flamme du Moussaf en analysant sa liturgie si particulière.

La prière du Moussaf revient mot à mot, pas à pas, étape après étape, sur le service qu’accomplissait le Grand Prêtre au Temple de Jérusalem. Historiquement, il faut comprendre qu’à l’époque du Temple il n’existait pas de liturgie synagogale pour ce jour saint dont le service se déroulait quasi-exclusivement au Temple. Une foule considérable de juifs et juives, parfois venus spécialement de Babylonie ou d’Egypte, se rendait à Jérusalem pour l’occasion et suivait avec anxiété le déroulement de la cérémonie sacerdotale. Dès l’aube, l’esplanade était si emplie que lors du sacrifice public étaient installées des barrières visant à éviter que, portés par la foule, des malheureux observateurs échouent dans les flammes.[1]

C’est dans ce contexte qu’il faut s’imaginer les différentes étapes décrites dans notre liturgie, ayant pour summum l’entrée tant attendue du Grand Prêtre dans le Saint des Saints. Cette entrée n’était autorisée que ce jour-là et pour le Grand Prêtre uniquement. Vu la sainteté de l’évènement, la tradition voulait que seul un prêtre au cœur parfaitement pur puisse en ressortir vivant. En conséquence, on nous décrit la longue corde et les clochettes attachés aux pieds du prêtre et permettant, en cas de tragédie, d’extraire le corps du sanctuaire. Tout un programme.

Venons-en au service lui-même. Notre liturgie s’ouvre avec cette injonction surprenante : « La veille du Jour du Pardon, [les sages] faisaient jurer le Grand Prêtre sur le Nom de Celui-Qui-Réside dans ce Temple de ne rien changer au service qu’ils lui avaient indiqué, de crainte qu’il y ait en son cœur une quelconque hérésie. Il s’éloignait et pleurait pour avoir été suspecté et eux s’éloignaient et pleuraient pour avoir suspecté sans preuve, car peut être n’avait-il rien sur la conscience. » Cette suspicion réciproque a également des racines historiques et porte sur la présence d’une majorité de saducéens parmi les prêtres de l’époque du Second Temple, au grand damne des sages pharisiens. Une dispute théologique essentielle les opposait les uns aux autres et touchait justement au cœur du service de Kippour.

Cette dispute portait sur un détail interprétatif dans les versets du Lévitique (16 :12-13) décrivant le service que devait accomplir le prêtre après avoir franchi le voile du Saint des Saints :  « [le Grand Prêtre] prendra un brasier plein de charbons ardents ôtés de dessus l’autel devant l’Éternel, et de deux poignées de parfum odoriférants en poudre ; il portera ces choses au-delà du voile; il mettra l’encens sur le feu devant l’Éternel, afin que la nuée du parfum couvre le propitiatoire qui est sur le témoignage, et il ne mourra point. » Mais voilà que le verset possède une ambivalence problématique, expliquée par un recueil de lois antique, la Tossefta (Yoma 1 :8),: « Les sadducéens disaient que l’encensement devait se dérouler à l’extérieur [du Saint des Saints], car il est dit « et la fumée couvrira ». Les sages leur disaient : il est écrit qu’« il mettra l’encens sur le feu, devant l’Eternel » – donc l’encensement devait se faire à l’intérieur ! »

Récapitulons. Saducéens et pharisiens se vouaient une guerre idéologique apparemment disproportionnée à cause d’une divergence interprétative sur le sens d’un verset. Fallait-il d’abord enfumer le Saint des Saints et puis y pénétrer ou procéder dans le sens inverse ?  Les pharisiens, adeptes de la seconde possibilité, promettaient une mort imminente aux saducéens agissant autrement et ceux-ci préféraient prendre ce risque plutôt que de renier leur tradition interprétative. Si vous avez imprimé cet article pour le lire précisément durant l’office de Moussaf, avec pour fond la voix morne de l’officiant, je crois vous avoir totalement enlevé le goût pour cette prière passée de fastidieuse à psychorigide…

Mais continuez encore quelques lignes, nous arrivons à l’essentiel.

Quel est donc le sens de cet étrange débat qui opposait nos deux camps et que nous reproduisons textuellement depuis près de deux milles ans ? Notons d’ores et déjà que les saducéens, perdants historiques, avaient dans ce cas-là une vaste tradition biblique sur laquelle s’appuyer

. Ainsi, lorsque Moïse se trouva face au buisson ardent et réalisa qu’il faisait face à Dieu, le verset nous indique que « Moise cacha sa face, car il craignit de voir la face de Dieu » (Exode 3:6). Dans le même état d’esprit, la première prophétie d’Ézéchiel nous narre sa vision de Dieu et des anges entourant son trône, ces derniers utilisant deux de leurs six ailes pour cacher leurs visages face à Dieu. Enfin, rappelons le passage des Juges (chap. 13) qui nous conte la naissance de Samson, annoncée par un ange à ses parents. Après le départ miraculeux de l’ange, Manoa’h, pensant avoir vu Dieu lui-même, affirma tragiquement à sa femme : « Nous allons mourir, car nous avons vu Dieu » (Juges 13:22).Ces différents passages nous véhiculent tous la même idée, formulée par l’Exode (33 :20) : « L’homme ne peut me voir sans succomber ». Voir Dieu garantit une mort immédiate à l’indiscret.

Revenons-en à notre culte du jour de Kippour : que se passe-t-il à l’intérieur du Saint des Saints ? Le verset parle d’encenser devant Dieu et les sadducéens estimaient, proche du sens littéral, que la pénétration dans la pièce interdite les mènerait à un réel face à face avec le divin résident des lieux. Par conséquent, le nuage de fumée avait un rôle protecteur, il venait cacher Dieu des mortels, afin que ces derniers puissent en ressortir sans succomber à cette ultime révélation. L’encensement se faisait à l’extérieur et le prêtre entrait dans une pièce opaque, préalablement enfumée par l’encens.

S’il en est ainsi, comment comprendre l’avis des pharisiens, à savoir les maîtres de la tradition rabbinique que nous suivons jusqu’à ce jour ? Après tout, eux-aussi étaient bien conscient des risques d’une telle rencontre, de la vision fatale que pouvait-être celle de Dieu, alors pourquoi s’entêter et exiger un encensement postérieur à la pénétration à l’intérieur du Sanctuaire ? Avant d’y répondre, rappelons-nous un détail important : à l’époque du Second Temple, cette pièce était totalement vide, dépouillée de son unique mobilier qu’était l’Arche d’Alliance disparue avec la chute du Premier Temple. Que voyait le Grand Prêtre en y pénétrant ? Probablement rien, si ce n’est la poussière accumulait d’années en années dans une pièce jamais ouverte.

Les saducéens, en modifiant l’ordre du service, souhaitaient faire rentrer le Grand Prêtre dans un nuage d’encens aveuglant et étourdissant. La brusque obscurité, la fumée opaque et les lourdes senteurs avaient tout pour permettre un extase religieux incontrôlé, voire des visions fantasmatiques de Dieu et de ses célestes armées. Nos pharisiens, plus connus pour leur rigueur que pour leur mysticisme débridé, opposent un véto indiscutable à cette pratique. Au Grand Prêtre de se confronter à la nudité des lieux, à la froideur du marbre nu, avant de procéder à l’encensement. Le Dieu des sages ne se rencontre ni dans le délire, ni dans le sensationnel. Il est, au contraire, le Dieu de la simplicité et du quotidien. Dieu n’est pas dans la tempête, pas dans l’effervescence ni dans le feu, nous disait le prophète Élie. Mais Dieu est une fine voix, une présence constante et perceptible par les attentifs uniquement.

Nous voilà revenus à notre liturgie de Moussaf, longue et laborieuse. Celle-ci reproduit fidèlement, peut-être un peu trop, le sérieux pharisien et nous invite à revivre l’espace de quelques heures, la préparation du Grand Prêtre à sa rencontre au sommet. Peut-être qu’en si préparant adéquatement, le fidèle pourra lui aussi s’emplir un moment de cette élévation spirituelle que la journée de Kippour peut apporter. Car Kippour, en nous détachant de nos besoins matériels, nous prépare lentement mais sûrement à pénétrer avec le prêtre dans le Saint des Saints en nous apprenant à percevoir le divin au-delà de la matière.

Notons que la liturgie ashkénaze, plus clémente avec le fidèle, a permis un cours épanchement extatique. À la fin du Moussaf, lorsque la liturgie nous décrit la sortie du Grand Prêtre, l’assemblée chante avec cœur un vieux poème tiré du livre apocryphe de Ben Sira. Ce poème, écrit à l’époque du Temple par un juif local, nous livre avec une authenticité bouleversante, l’émotion de la foule à la sortie du Grand Prêtre, qu’on imagine aux traits apaisés et au visage serein après cette rencontre hors du commun :

Telle la lumineuse splendeur des anges, ainsi était l’apparence du prêtre,

Telle l’arc-en-ciel sortant du nuage, ainsi était l’apparence du prêtre,

Telle la splendeur dont Dieu revêtit les patriarches, ainsi était l’apparence du prêtre,

Telle une rose au sein d’un délicieux jardin, ainsi était l’apparence du prêtre,

[…]

Ô comme était splendide le Grand Prêtre,

Lorsqu’il sortait du Saint des Saints,

En paix, sans blessures.

 

גמר טוב

 

Notes: 

[1] Tossefta Yoma, chap. 4, loi 18.

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La Techouva Psychologique, par Sarah Bloch-Elkouby

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blochSarah Bloch-Elkouby est originaire de Strasbourg. Apres avoir fait son alyah et travaillé comme avocate elle s’est reconvertie dans la psychologie et termine actuellement son doctorat a New York. Son travail clinique se dit integratif et sa recherche porte sur l’évaluation des résultats des différents  type de psychothérapie. Elle est mariée avec Emmanuel Bloch, co-auteur du blog, et est mère de deux filles. 

La Techouva Psychologique[1].

La notion de techouva est centrale dans la religion juive.

Si l’idée que l’être humain est libre de faire ses choix de vie et qu’il est capable de préférer la raison à ses pulsions est présente en filigrane tout au long de l’année, entre Roch HaChana et Yom Kippour elle reçoit une nouvelle dimension ; même lorsqu’il s’est déjà engagé dans la faute et qu’elle fait office de norme, l’être humain a le pouvoir de faire marche arrière. S’il est vraiment déterminé, sa volonté suffit, à elle seule, à se défaire des habitudes ancrées et à faire table rase du passé.

Mais le changement est-il vraiment possible, ou bien sommes-nous tous des prisonniers de nos décisions passées ? Dans ce court billet, je voudrais confronter le concept de Techouva, cette belle idée de la tradition juive, au savoir clinique et empirique accumulé par la psychologie.

Dans un premier temps, j’examinerai si l’être humain est effectivement en mesure de changer. Je poserai ensuite la question de savoir si cette possibilité est ouverte à tout le monde, ou bien si certaines personnes sont trop « déséquilibrées » pour pouvoir reprendre leur vie en main. Finalement, ceci m’amènera à explorer l’idée de la responsabilité collective dans l’éducation des enfants, sans laquelle les « déséquilibrés » de demain seront toujours plus nombreux.

Le changement – mode d’emploi.

Changer, à l’âge adulte, signifie modifier le résultat de notre développement personnel ; or, ce dernier est le résultat de l’interaction entre nos prédispositions génétiques, d’une part, et des diverses stimulations et sources de stress présentes dans notre environnement, de l’autre ; ce processus a pour conséquence de créer des patterns dans une variété de domaines distincts, et je choisirai de les classifier en suivant un certain modèle de psychothérapie qui me parle beaucoup[2], auquel j’apporterai toutefois quelques modifications :

  • Notre façon de nous comporter au jour le jour, qui inclut notre degré d’impulsivité. Par exemple : Certains d’entre nous sont actifs, organisés, productifs, et d’autres sont plus anxieux, perfectionnistes, et ont tendance à laisser traîner leurs tâches.
  • Notre façon de penser, l’intensité de nos émotions et notre façon de les appréhender et d’y réagir. Par exemple : Certains d’entre nous réagissent à toute frustration par de l’auto-culpabilisation : (« je suis trop bête, j’aurais dû trouver une solution »).
  • Notre bagage inconscient, qui inclut nos croyances inconscientes par rapport à nous-mêmes et aux autres, ainsi que les raisons inconscientes qui nous motivent à répéter, encore et encore, certains comportements.

Je rajouterai deux catégories :

  • Notre physiologie, nos cinq sens et nos réactions physiques. Notre perception du monde passe avant tout par nos sens, dont le degré de sensibilité diffère d’une personne à une autre. De plus, nos émotions et nos souvenirs ont une composante physiologique extrêmement importante. Par exemple : certaines personnes sont très sensibles au bruit. Placées dans un environnement bruyant, elles ne peuvent pas fonctionner correctement.
  • Notre environnement physique et social, y compris la famille et les groupes auxquels on appartient, qui ont leur propre dynamique dans lequel notre rôle est assigné et souvent difficile à changer. On peut aussi inclure ici le support et l’amour que l’on reçoit des autres, ainsi que les sources de stress causées par l’environnement.

Ces cinq dimensions sont bien sûr reliées entre elles : chacune d’entre elles joue sur les quatre autres.

En quoi cette distinction entre les différentes composantes de notre expérience humaine aide-t-elle à changer son comportement ?

De façon générale, la meilleure manière de changer est de procéder à une introspection initiale ; celle-ci doit permettre à chacun de prendre conscience de sa propre manière de vivre ces 5 niveaux, ainsi que d’explorer les changements qu’il est possible d’y induire. Cependant, du fait de l’imbrication des différents niveaux au sein d’une personnalité, tout changement induit à un niveau donné impacte nécessairement les 4 autres niveaux.

Illustrons ce phénomène grâce à l’exemple d’une personne coléreuse qui, par hypothèse, prendrait la résolution de se forcer à respirer pendant 3 minutes avant de se laisser aller à la colère (ce qui est un changement au niveau 1, celui des actes et impulsions), et observons la cascade des changements opérés par ricochet à d’autres niveaux.

Ainsi, au niveau 2 : acquérir un comportement moins impulsif permet de limiter l’anxiété liée à l’anticipation de la colère, ainsi que de réduire la colère d’être soi-même en colère ; en outre, un tel changement influe également sur le caractère négatif des pensées automatiques portant sur soi-même et/ou sur les autres.

Ou bien encore, au niveau 3 : le sentiment de ne pas être l’esclave de ses émotions entraînera chez la personne une nouvelle façon de s’auto-percevoir. De plus, les mémoires douloureuses ou les fixations sur une certaine conception de soi seront retravaillées, ou recevront une nouvelle signification une fois que la personne prendra conscience que leur impact sur sa vie présente reste limité.

Au niveau 4, à force de respirer profondément à chaque fois qu’une source de stress est rencontrée, notre sujet fera l’expérience d’une plus grande maîtrise de son éveil physiologique en cas de stress, laquelle suffira, en tant que telle, à limiter le stress ressenti lorsque des situations similaires se présenteront à nouveau.

Finalement, au niveau 5, une capacité accrue à gérer les colères améliorera les relations interpersonnelles ; le support et l’amour reçus des proches augmentera en conséquence.

Naturellement, dans certains cas, c’est tous les niveaux qui doivent être traités en même temps. Ceci dépend beaucoup de l’étendue du problème que l’on veut changer, mais aussi bien sûr de la personnalité concernée. Pour certains, qui sont organisés, efficaces et disciplinés, mais qui ont tendance à ne pas ressentir d’émotions fortes, une approche introspective, accompagnée de méditations destinées à améliorer leur capacité à se connecter aux émotions et à comprendre combien elles impactent, en réalité, leurs décisions, sera souvent suffisante pour prendre conscience de certains patterns et de les changer. Pour d’autres, en proie à des émotions de type « montagnes russes », accompagnées d’actions destructrices et/ou autodestructrices, l’introspection ne suffira souvent pas, et apprendre des techniques de gestion des émotions[3] se révèlera alors nécessaire. Enfin, pour TOUS, une connexion profonde et intime avec autrui est nécessaire. La source la plus fiable de changement est la relation à autrui.

Les « maladies mentales », « troubles psychiatriques » et « déséquilibrés »

Les paragraphes précédents sont-ils valables pour les « malades mentaux » ? Dans le service psychiatrique dans lequel je travaille tous les matins, les patients internés (de gré ou de force) me posent souvent cette question : peuvent-ils changer leur destinée ? Seront-ils toujours soumis à la peur de ces voix qui leur parlent et qu’ils sont les seuls à entendre ? Seront-ils toujours incapables de rattraper ce fil de pensée qui s’effiloche chaque jour un peu plus ?

Pour d’autres, la conscience même d’avoir un problème n’existe pas. Leurs délires ont la peau dure, et ils me répètent, encore et encore, qu’ils sont de grands propriétaires immobiliers sur la 5e avenue à New York, ou qu’ils viennent d’être nommés pour remplacer Ban Ki-moon à la tête de l’ONU…

L’idée d’une démarcation claire entre la normalité et la « maladie mentale », ou le « trouble psychiatrique » a reçu un essor extraordinaire avec l’avènement de la psychiatrie moderne, au début du 20e siècle. Certaines expériences humaines ont été classifiées comme « anormales », avec la croyance qu’elles étaient causées par des causes organiques qu’on ne tarderait pas à découvrir.

Or, la psychiatrie n’a pas tenu sa promesse. Elle n’a jamais réussi à identifier les causes génétiques / biologiques desdites « maladies mentales ». Et pour cause, même les conditions classées comme maladies mentales graves, comme la schizophrénie (que la croyance populaire confond avec le dédoublement de personnalité), ne sont pas causées uniquement par des prédispositions biologiques. Ainsi, à bagage génétique identique, le jumeau d’un patient diagnostiqué schizophrénique aura seulement 80% de chances de recevoir le même diagnostic.

L’approche dite stress-diathesis suggère que c’est en réalité l’interaction entre certaines prédispositions génétiques (d’une part) et des sources de stress qui activent ces dernières (de l’autre), qui est la cause desdites « maladies mentales ». Selon la force de la prédisposition, le niveau de stress suffisant pour occasionner son expression varie. De plus, les sujets réagissent de manière variable aux différentes sources de stress : soumettez par exemple un enfant extrêmement sensible au bruit à un environnement bruyant, et son niveau de stress ressenti sera infiniment plus élevé que celui d’un enfant non sensible au bruit dans le même environnement…

Dans le cas des « maladies » considérées comme plus handicapantes comme les troubles bipolaires, ou la schizophrénie, les prédispositions génétiques sont parfois à ce point prépondérantes que seul un entourage absolument parfait, dans le sens de sa capacité à s’adapter totalement aux besoins de l’enfant, a des chances d’éviter l’expression la plus sévère de toutes les prédispositions.

Pour être parfait, l’entourage a besoin de calibrer très précisément le niveau de stress auquel est soumis l’enfant : il s’agit d’éviter tout stress trop élevé, lequel éveillerait les gènes « problématiques », mais aussi de ne pas tomber dans le piège d’une stimulation insuffisante, laquelle priverait l’enfant de l’acquisition de stratégies de défense efficaces contre le stress et la frustration. Cet apprentissage se fera essentiellement par le jeu, la fantaisie, les livres, les films, mais aussi grâce à l’imitation mimétique de l’entourage. De plus, un principe central devra être inculqué à l’enfant : l’amour de soi et la reconnaissance de ses limitations, grâce auquel l’enfant apprendra à célébrer ses points forts mais aussi à tolérer ses points faibles.

Lorsque ceci n’a pas eu lieu pendant l’enfance, ou lorsque cela n’a pas suffi à enrayer le développement des fonctionnements « anormaux », de sorte que ces « maladies » sont diagnostiquées à l’âge adulte, le changement est tout de même encore possible. Souvent, ce changement ne peut pas complètement faire revenir la machine en arrière, et ne produit au mieux qu’une simple amélioration de la situation et une relative diminution de la souffrance. Pour générer ce changement, les mêmes principes énoncés ci-dessus sont valables : avant tout, une connexion humaine forte et inconditionnelle est nécessaire. Ensuite, la personne doit évoluer dans un milieu sans stress le temps d’apprendre, en thérapie, des façons effectives de faire face au stress et aux frustrations. Souvent, lorsque le patient a des illusions qu’il n’est pas capable de les remettre en cause, une grande partie de ces modifications doivent être faites à son insu. Dans certains cas, lorsque son état le rend dangereux, pour lui-même ou pour autrui, un traitement pharmacologique se révèle nécessaire.

Ceci m’amène à ma troisième partie : la responsabilité de notre société et la notion de techouva comme créatrice d’une culture du changement.

Techouva dans la société – Techouva de la société

Au cours des deux parties précédentes, j’ai voulu démontrer que le changement est à la portée de tous. Cependant, j’ai aussi suggéré que, dans de nombreux cas, ce changement dépend de la réalisation de trois conditions préalables ; en outre, ces mêmes conditions sont celles qui déterminent notre capacité à élever nos enfants en évitant d’éveiller certaines de leurs prédispositions génétiques qui les vouent à des expériences douloureuses typiquement nommées « troubles psychiatriques ». Ces trois conditions sont les suivantes :

  • La réduction immédiate et significative du stress, l’apprentissage de stratégies adaptées pour y faire face, puis sa réinsertion progressive et adaptée au niveau de résilience de l’individu.
  • La promotion de relations interhumaines fortes, à même de soulager bien des maux.
  • L’acceptation sociale des différences.

Aux Etats-Unis, je constate à regret que non seulement ces trois conditions ne sont pas respectées, mais qu’en outre la médicalisation à outrance de la psychologie a conduit à une situation absurde dans laquelle enfants et adultes sont constamment comparés à un certain modèle idéal, reçoivent rapidement un diagnostic psychiatrique lorsqu’ils divergent de cet idéal social, et sont finalement mis sous médicaments psychiatriques.

Or, si ces médicaments soulagent parfois certains « symptômes » sur le court terme, ils ont souvent des effets secondaires dévastateurs sur le long terme. Certes, la réduction symptomatique à court terme permet à la société de maintenir l’ordre établi ainsi que la croyance dans ce moule illusoire de normalité. Mais à plus long terme, le coût social est considérable, et les vraies questions continuent d’être évitées : quelle est la définition de l’anormalité ? Comment réagir face à un ordre social qui produit des niveaux de stress intolérables pour l’individu ? Etc.

Même si la situation est, me semble-t-il, bien moins extrême en Europe et en Israël, il n’en demeure pas moins qu’elle reste loin d’être idéale, et les difficultés innées ne sont pas comprises ni traitées de façon efficace avant qu’il ne soit trop tard. Ainsi, un enfant qui serait « hyperactif » à New York, et soumis à un traitement pharmacologique aux amphétamines, sera à Paris un mauvais élève « turbulent » et « qui ne tient pas en place ». Dans les deux cas, les vraies questions ne sont pas abordées :

  • Quels sont les processus sensoriels, physiologiques, cognitifs et affectifs à la base de ce comportement ?
  • Est-il légitime de vouloir les modifier ? Est-il objectivement « anormal » d’être hyperactif ou est-ce juste une condition humaine parmi tant d’autres ?
  • Dans la mesure où il est légitime de rechercher un changement, comment ce changement peut-il être occasionné de la façon la plus sûre pour l’enfant et dans le souci constant de son bien ?

Dans le monde orthodoxe, aussi divers qu’il soit, il me semble la mise en place d’un système de « santé mentale » et d’un système d’éducation basés sur les prémisses développées ci-dessus (connexion humaine inconditionnelle, modulation du stress et de la stimulation en fonction des prédispositions de l’enfant, et surtout élargissement du couloir étroit de la « normalité ») ne sont certainement pas une priorité. Pour la plupart des enfants, qui ont une génétique « solide », l’impact néfaste d’une éducation « standard » ne les empêchera pas de fonctionner dans notre société. Peut-être n’atteindront-ils pas leur plein potentiel, mais ils seront plus ou moins capables d’être des citoyens productifs. Pour les autres, le prix à payer sera cher. Pour ceux-là, dont le nombre grandit d’année en année, et qui sont les victimes de nos priorités mal placées, je crois que nous devons faire techouva.

ותפילה ותשובה וצדקה מעבירין את רוע הגזירה… Je me permets de suggérer qu’ici on peut interpréter צדקה comme צדק: sans une société juste, qui accepte chaque humain tel qu’il est mais lui donne également le soutient nécessaire pour développer au maximum ses capacités et enrayer sa souffrance, la destinée douloureuse de certains  (גזירה)ne sera pas annulée.

Notes:

[1] Merci a Emmanuel Bloch pour sa relecture attentive et ses commentaires constructifs.

[2] L’« assimilative psychodynamic psychotherapy » de Gold et Stricker.

[3] Attention : ne pas les ignorer, ni les annuler ! Les émotions sont extrêmement importantes pour notre équilibre.

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Émergence d’un leadership féminin orthodoxe en Israël

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Le blog s’intéresse depuis des années à l’évolution de la place des femmes au sein du judaïsme orthodoxe. L’un des premiers articles du blog mentionné d’ailleurs la nomination de la première femme rabbin orthodoxe aux États-Unis, Sarah Hurwitz. Pour ceux qui s’en souviennent, Rabba Sarah, comme l’appellent ses fidèles, dirige depuis cinq ans la Yeshivat Maharat à New-York, l’équivalent d’un séminaire rabbinique orthodoxe, mais uniquement pour femmes.

Ceci étant dit, le judaïsme américain semble parfois éloigné de nos horizons français alors que le judaïsme israélien, orthodoxe dans sa grande majorité, semble bien plus proche du notre. C’est pour cela que j’ai cru bon d’écrire ce billet pour signaler au public juif francophone trois évènements historiques, s’étant succédés les uns après les autres en l’espace d’à peine deux ans.

L’émergence de dayanot orthodoxes

Depuis quelques années, les programmes d’études halakhiques avancés fleurissent pour les femmes orthodoxes en Israël. J’en dénombre cinq mais il est possible que leur nombre soit encore plus importants et augmente d’ailleurs d’année en année. Ces programmes sont l’exact équivalent de ceux proposés par le rabbinat d’Israël aux candidats masculins. Les étudiantes, possédant toutes un large bagage d’études talmudiques, approfondissent l’étude de la loi juive et passent des examens validés par des autorités orthodoxes reconnus. Après plusieurs années d’études, les étudiantes obtiennent leur smikha, ou ordination rabbinique et continuent généralement une carrière dans l’enseignement.

Un premier groupe de femmes érudites ayant déjà obtenu leurs smikhot ont commencé, il y a trois ans, un programme de dayanout: huit ans d’études approfondies qui leur donneront le titre de dayanet, juge rabbinique. À ma connaissance, c’est la première fois dans l’histoire juive qu’un groupe de femmes s’apprête à obtenir ce titre. Si on connait des cas isolés, comme la célèbre juge biblique Déborah, ils étaient jusqu’alors anecdotiques, les voilà désormais institutionnalisés.

mikhal
La Rabbanite Mikhal Tikonchisky

Ces femmes seront-elles acceptées dans une cour rabbinique orthodoxe ? À court terme, il est probable que non. D’ailleurs, il est probable que telles ne soient pas leurs intentions, ces études leurs permettront surtout d’avoir les connaissances suffisantes pour devenir décisionnaire. Notons cependant que le Rav Bakshi Doron, ancien grand rabbin d’Israël, a récemment soutenu qu’une femme pouvait siéger dans un tribunal rabbinique à condition d’avoir l’assentiment du public.[1] Ceci étant dit, l’apparition d’une génération de femmes érudites ne pourra qu’apporter un vent de renouveau au sein du discours halakhique pour l’instant quasi-totalement masculin.

Un premier livre de responsa écrit par une femme

 Malka Pioterkowsky est l’une des pionnières de l’enseignement du Talmud pour femmes en Israël. Après avoir co-fondée la Midreshet Lindebaum (Brouria) et y avoir enseigné durant des années, ainsi que dans d’autres centres d’études pour femmes, Malka Pioterkowsky s’est retirée pour se consacrer à l’étude et l’enseignement approfondit de la halakha. L’année dernière, elle a publié un premier recueil de responsa, Mehalekhet bedrakha (מהלכת בדרכה).

Ce recueil comporte un double intérêt. Non seulement, il est le premier recueil de responsa écrit par une femme, mais en plus il prouve que le public orthodoxe se tourne déjà depuis des années vers les femmes érudites afin d’obtenir des réponses à leurs interrogations halakhiques. Sans surprise, une bonne partie du livre est consacré à des questions touchant au public féminin, de l’autorisation pour une femme à porter les téfilines (autorisés avec prudence, pour les femmes engagées dans leur vie religieuse, mais avec discrétion) à la possibilité d’utiliser des moyens contraceptifs au début du mariage (autorisé également si le couple n’est pas encore prêt à la parentalité). Mais le livre traite aussi de questions bien plus classiques comme le respect des parents ou les limites halakhiques de l’entraide.

La Rabbanite Malka Pioterkowsky, son livre à la main.
La Rabbanite Malka Pioterkowsky, son livre à la main.

Une première dirigeante de communauté

Je finis avec la plus récente des nouvelles : il y a une semaine à peine, la communauté « Ramban », à Jérusalem, intronisait son nouveau rabbin, la Rabbanite Carmit Feintuch.

Ramban est une communauté orthodoxe moderne importante, dirigée par le charismatique rav Benny Lau (cousin de l’actuel Grand Rabbin d’Israël). Il y a quelques mois, la communauté avait annoncé qu’elle souhaitait rajouter une femme, qui certes ne dirigerait pas les offices (orthodoxes) de la synagogue, mais pourrait remplir un rôle spirituel en enseignant, répondant aux questions d’halakha, accomplissant d’autres cérémonies religieuses, etc.

La Rabbanite Carmit Fentuch au coté du Rav Benny Lau, lors de son intronisation.
La Rabbanite Carmit Feintuch au coté du Rav Benny Lau, lors de son intronisation.

C’est la Rabbanite Carmit Feintuch qui fut choisie. R. Feintuch appartient à cette première génération de femmes érudites et versées dans l’étude du Talmud. Elle a étudié dans plusieurs centres d’études pour femmes et a passé l’équivalent de sa smikha au Collel pour femmes de l’institut Matan. Elle enseigne le Talmud depuis sept ans à la Midrasha Migdal Oz, l’équivalent féminin de la Yeshivat Har Etzion.

Élément intéressant pour le public francophone, lors de la cérémonie d’intronisation de R. Feintuch, le premier orateur fut le Grand Rabbin Samuel Sirat, ancien grand rabbin de France et aujourd’hui membre de la communauté Ramban. R. Sirat a salué la nomination de la rabbanite Carmit Feintuch avant de laisser la parole à Blu Greenberg, l’une des pionnières du féminisme orthodoxe américain qui avait prédit dans les années 70 l’émergence d’une génération de femmes orthodoxes érudites et même de femmes rabbins orthodoxes. Son émotion laissait cependant entendre qu’elle n’avait pas pensé le voir de son vivant.

Vidéo de l’intronisation de la Rabbanite Feintuch

[1] שו »ת בנין אב, ירושלים תשמ »ב, סי’ סה.

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Le mauvais sujet repenti, cours audio par Bitya Rozen-Goldberg

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D’aussi loin qu’elle s’en souvienne, Bitya Rozen-Goldberg a toujours aimé étudier, apprendre et raconter. Elle est diplômée de la Sorbonne en Histoire ancienne, et travaille comme guide touristique depuis 8 ans. Ancienne étudiante de Midreshet Lindenbaum et de Beit Morasha, elle étudie au Kollel de Pardès depuis 3 ans et a reçu sa smikha en 2016, par le Rav Daniel Landes. Bitya, Raphaël et leurs trois enfants habitent Jérusalem. On peut les croiser le shabbat au partnership minyan de Bakaa, Hakel.

Le blog a le plaisir de mettre en ligne une étude talmudique dirigée par Bitya Rozen-Goldberg, qui a eu lieu au Machon Pardès à Jérusalem. Prochainement, une série de cours dispensée par Bitya devrait débuter.

Ci-joint les sources, en hébreu et français, utilisées par Bitya dans son cours: cliquez-ici pour voir les sources. 

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Le judaïsme américain ou le « monde du Succès »

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Article écrit au départ pour le magazine La Voix Sépharade (http://lvsmagazine.com/), qui a consacré son dossier spécial de septembre 2016 à la question « Où vont les Juifs de France ? ». Je tiens à remercier chaleureusement Sonia Sarah Lipsyc, rédactrice en chef du magazine, de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer dans ses colonnes.

 

Voilà déjà plus de deux décennies que le bâton de pèlerin ne quitte guère ma main : Juif français ayant grandi dans une pittoresque bourgade alsacienne (Colmar), mes pérégrinations m’ont amené tour à tour en Suisse, en Israël, … avant de m’installer avec ma famille, depuis 5 ans, à New York.

Ce n’est que récemment que j’ai pris pleinement conscience de cette remarquable réalité : le Judaïsme américain contemporain, c’est d’une certaine manière le point culminant du Judaïsme de l’Exil : ses succès (culturels, économiques, religieux, politiques, …), son degré d’intégration dans sa culture hôte, etc., dépassent tout ce qui a pu être précédemment atteint par d’autres diasporas, y compris au cours de l’âge d’or espagnol ou dans l’Allemagne post-émancipatoire.

Qu’aurait dit Theodor Herzl s’il avait pu contempler le dynamisme du Judaïsme nord-américain ? Aurait-il maintenu l’intuition fondamentale de son sionisme politique, qui était que les Juifs ne peuvent pas vivre en sécurité en tant que simple minorité ethnique et religieuse au sein d’un pays étranger, alors que les faits semblent ici lui donner tort ?

Si j’insiste sur ce point, c’est qu’il me semble fondamental, non seulement pour décrypter la réalité de la vie juive nord-américaine mais aussi afin d’en saisir les défis : les Juifs américains se sentent chez eux aux USA et au Canada ; ils éprouvent pour New York, Toronto ou Los Angeles le même sentiment qu’un Juif israélien ressent pour Tel Aviv ou Jérusalem : celui d’être à la maison. La communauté juive française, ou toute autre communauté diasporique contemporaine d’ailleurs, ne saurait en dire autant. N’en déplaise à Albert Londres[1], le Juif errant, une fois sorti de son ghetto ou de son mellah, est désormais arrivé en deux endroits différents de la planète : Israël et l’Amérique du Nord.

Prenons cette observation comme notre fil d’Ariane. Une fois posé que l’Amérique du Nord est actuellement un foyer juif (une expression qui pourra sembler trop audacieuse, voire à la limite de l’hérésie, à nos sensibilités sionistes, mais qui est pourtant justifiée), est-il possible d’en tracer, à gros traits, les contours socio-culturels et de voir où l’exercice nous mène ?

La langue tout d’abord. La communauté juive américaine parle l’anglais, non seulement dans les innombrables interactions de la vie quotidienne, mais aussi en tant que vecteur de créativité intra-juive : la totalité des textes fondateurs ont été traduits dans la langue de Shakespeare, et l’immense majorité des textes secondaires également : on peut par exemple  étudier les grands maîtres hassidiques en anglais; bien plus encore, la communauté juive anglophone a développé son propre canon exclusif d’œuvres littéraires et religieuses que toute personne cultivée, désireuse de participer à une discussion intelligente, à une table de chabbat ou lors d’un débat public, se doit de maîtriser. L’anglais, en d’autres termes, est devenu une langue juive.

La perception de soi ensuite. Bien que la communauté juive française soit, de manière générale, remarquablement bien intégrée à la société civile (et il faut rappeler ici que même en cette période de résurgence de l’antisémitisme et de tensions communautaristes accrues, la situation des Juifs de France reste, d’un point de vue historique, relativement bonne à tous les niveaux), il n’en demeure pas moins qu’un Juif en France reste subtilement mais décidément différent du Français lambda : il n’est jamais Monsieur (ou Madame) Tout-le-Monde. En Israël, la situation est assez paradoxalement comparable : certes, la majorité de la population est juive, mais il n’en demeure pas moins que la différence juive reste une évidence incontestée, même si elle est désormais vécue au niveau de la collectivité toute entière : Israël, le seul ilot de démocratie au Moyen-Orient, l’Etat juif au milieu de ses voisins musulmans, etc. Ailleurs, dans les bureaux capitonnés de la diplomatie internationale, l’Etat juif est largement devenu le Juif des Etats : un paria ; plus important encore, la menace extérieure (souvent bien réelle, mais parfois fantasmée) pesant sur l’existence de l’Etat d’Israël représente l’un des très rares dénominateurs identitaires communs, et peut-être même le seul, permettant d’unifier la collectivité entière, par-delà ses nombreuses lignes de fracture socioreligieuses internes.

Aux USA, par contre, le Juif n’est pas l’Autre. La communauté juive est perçue comme appartenant sociologiquement à une certaine élite blanche, très éduquée, financièrement confortable voire fortunée. Affirmer que les Juifs jouissent d’un plein accès au « rêve américain », c’est encore bien insuffisant : ils contribuent en effet largement à en former le cœur identitaire. A travers leurs apports décisifs dans certains domaines-clefs de la vie intellectuelle, comme par exemple les arts, la finance ou l’université, les Juifs participent à modeler activement l’ethos c’est-à-dire la manière d’être nord-américain.

Dans le même temps, la communauté juive américaine se perçoit réflexivement comme une minorité jouissant d’une existence propre, conceptuellement bien distincte de celle de la majorité environnante ; c’est dire que, dans un monde postmoderne en quête constante d’authenticité, l’identité juive ne se confond pas avec la plus vaste identité américaine, pas plus d’ailleurs qu’elle ne se heurte à cette dernière : les deux existent symbiotiquement et se conjuguent dans une harmonie quasi-parfaite.

Finalement, les valeurs morales fondamentales. Ici il nous faut opposer deux visions éthiques profondément divergentes, la première fondée sur l’idée d’obligation et la seconde sur celle du droit : dans la première vision, l’être humain moral est avant tout celui qui remplit son devoir ; dans la seconde, par contre, l’être humain moral est celui qui respecte les droits inaliénables de son prochain.

« L’éthique du droit », basée sur des concepts philosophiques et juridiques contemporains (droits de l’homme), est de facture essentiellement moderne ; « l’éthique de l’obligation », par contre, se fonde avant tout sur des notions traditionnelles / religieuses : c’est Dieu qui impose des devoirs. L’idée mériterait certainement d’être nuancée, mais nous associerons ici l’éthique du droit à cette avant-garde de la modernité qu’est l’Amérique, et l’éthique du devoir à Israël – ledit devoir pouvant être conçu en termes religieux (mitsva), ou alternativement en termes non-religieux (chivion ba-netel[2]) : en Israël, on se serre les coudes face à l’adversité, et on porte ensemble le projet de construire l’Etat.

Or, si les deux intuitions fondamentales se recoupent occasionnellement, elles servent dans l’ensemble de pierres angulaires à des visions très différentes de la société qu’il faut idéalement bâtir. Les Juifs américains et canadiens prônent des idéaux comme l’engagement volontaire et enthousiaste en faveur du bien commun, la tolérance envers autrui, l’inclusion des minorités, la justice sociale, etc., alors que les Juifs israéliens admirent plutôt ceux qui servent leur pays de manière exemplaire. Sans trop de surprise, les premiers sont majoritairement démocrates (centre-gauche) et libéraux, alors que les seconds sont très largement de droite et conservateurs.

Certes, cette image que nous venons de restituer du Judaïsme nord-américain manque encore de nuances, qu’un plus long article devrait explorer ; mais nous voudrions conclure par une rapide description du revers de la médaille – le prix non négligeable que les Juifs américains doivent payer en guise de rançon de leur succès.

En premier lieu, il y a bien évidemment l’assimilation galopante – car si le Juif n’est plus l’Autre du non-Juif, l’inverse est tout autant vrai, et alors pourquoi ne pas se marier, lorsque l’amour est au rendez-vous ? Les chiffres récemment publiés par le Pew Research Center[3] donnent un taux de mariages mixtes avoisinant aujourd’hui les 60%, en constante augmentation sur les dernières décennies.

Cette réalité, que nul ne conteste vraiment, est lue différemment selon la place occupée sur l’échiquier socioreligieux : dans les mouvements non-orthodoxes, et en premier lieu le Judaïsme Libéral et le Judaïsme Conservative, la pression grandit constamment afin de trouver de nouveaux moyens de promouvoir l’inclusion des couples mixtes au sein des communautés juives établies (l’école rabbinique du mouvement Libéral considère toujours que l’on ne saurait devenir rabbin en étant marié(e) avec un non-Juif, et refuse en conséquence les candidatures de membres d’un couple mixte, mais cette position est probablement appelée à évoluer dans un futur proche) ; chez les orthodoxes, pour lesquels la transmission matrilinéaire du Judaïsme reste un principe inamovible, on se résigne par avance à l’assimilation définitive de pans entiers de la population juive, et à un Judaïsme nord-américain qui sera, à terme, bien plus étriqué et bien plus orthodoxe qu’il ne l’est actuellement.

Quel que soit le niveau de religiosité, la transmission de l’identité juive dans un contexte d’acceptation totale demande des efforts éducatifs considérables. C’est le deuxième défi que nous voulons mentionner – celui de l’éducation juive et de ses coûts exorbitants. Une école Modern-Orthodox d’élite telle que Ramaz à Manhattan, dont la vocation est de donner à ses élèves une éducation d’excellent niveau, aussi bien sur le plan religieux que sur le plan profane, revient à près de 40’000 dollars par an et par enfant. Ailleurs, c’est (un peu) moins cher, mais une blague désabusée affirme que le coût de l’éducation reste encore la méthode de planning familial la plus efficace au sein de la communauté juive. A ce prix-là, on réfléchit avant d’engendrer.

Troisièmement, l’inclusion des femmes et des homosexuels (ou, plus largement, des LGBTs)[4] est souvent difficilement réconciliable avec les catégories traditionnelles, théologiques ou juridiques, du Judaïsme. Ceci pose des problèmes internes considérables, surtout pour les communautés orthodoxes, moins réceptives aux changements sociaux que leurs consœurs libérales ou conservatives.

Ce Judaïsme d’Amérique du Nord, avec ses avantages et ses inconvénients, nous venons de le peindre sous les traits du « Monde du Succès » ; or, les juifs francophones méconnaissent parfois les différentes facettes de cette réalité. Ceci demeure vrai, dans mon expérience, même pour une grande partie de ceux qui sont établis sur le terrain, et qui se regroupent dans des communautés plus ou moins homogènes de Juifs français expatriés dans la lointaine Amérique. Dommage ! Etre Juif de nos jours, aux USA ou au Canada, c’est vivre une expérience humaine remarquablement riche et passionnante. Si vous ne les connaissez pas encore, venez découvrir par vous-même les Jew-SA[5] !

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Notes:

[1] 1884-1932; journaliste et écrivain français, auteur en 1930 du livre Le Juif errant est arrivé.

[2] L’égalité dans le partage du fardeau social, et notamment le service militaire.

[3] Un centre de recherche américain qui utilise des outils des sciences sociales afin d’analyser divers aspects de la société américaine et mondiale, et notamment les composantes de sa démographie religieuse.

[4] Acronyme de l’expression “Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Transgenres ».

[5] Jeu de mot : l’expression est phonétiquement proche, en anglais, de la manière dont l’on prononce « U.S.A. », et fait ainsi référence à l’importance dont les Juifs jouissent parfois dans la vie publique américaine.

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Rejoignez le Beit Midrash « Ta Shma »à Jérusalem

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Nous sommes heureux de vous annoncer la formation d’un Beit Midrash à Jérusalem, dans l’esprit de ce blog. Ce Beit Midrash part d’un constat: alors qu’en Israël, les centres d’études ouverts fleurissent depuis une décennie, le choix de cours en langue française reste relativement monolithique, tout particulièrement en ce qui concerne les cours mixtes ou pour femmes.

C’est pourquoi nous créons ce Beit Midrash qui proposera des études sur textes dans un esprit ouvert et indépendant. À partir du mois de Janvier, le Beit Midrash proposera trois sessions d’études. La première sera talmudique, sous la direction de Bitya Rozen-Goldberg, la première (et unique) femme francophone à avoir obtenu une smikha (ordination) orthodoxe au Kollel de Pardes.

la seconde sera dirigée par moi-même, Gabriel Abensour, et traitera de philosophie de la halakha, à travers une étude rigoureuse de responsa divers.

la troisième sera dirigée par Dr. Eliora Peretz, sur le thème: « Tu aimeras ton prochain comme toi-même, voyage avec un verset à travers la littérature rabbinique. »

Afin de nous préparer au mieux à l’ouverture du Beit Midrash, nous vous invitons à remplir dès à présent le formulaire de pré-inscription et à diffuser cette annonce au près de vos contacts yérosolomitains:

Pour remplir le formulaire, cliquez ici

 

Dates des différentes sessions: 

Les cours auront lieu le lundi soir à Jérusalem, 8 rue Agron, de 19h45 à 21h45.

Tarif pour les 3 sessions: 300 shekels.

Première session de 6 cours, du 2/01 au 6/02, par Bitya Rozen-Goldberg. Tarif: 120 shekels.
Deuxième session de 4 cours, du 27/02 au 27/03, par Gabriel Abensour. Tarif: 80 shekels.
Troisième session de 6 cours, du 08/05 au 12/06, par Dr. Eliora Peretz. Tarif: 120 shekels.

Description des sessions et biographie des enseignant/es

Morceaux choisis du traité Avoda Zara: Identité, l’Autre et les aléas de la vie.

Choisissez un/e partenaire* et embarquez-vous pour un voyage dans le monde du talmud! Venez découvrir ou approfondir les techniques de la compréhension du texte et l’art de la composition talmudique.

Nous étudierons en havruta puis tous ensemble, six unités talmudiques qui touchent à la définition fantasmée ou souhaitée de l’identité collective, à notre rapport à l’autre social et religieux, à l’humanisme et aux nécessités de la vie dans des contextes historiques changeants.

*nul besoin de venir accompagné/e!

bityaBitya Rozen-Goldberg est membre du Kollel de Pardes. Elle a étudié à Midreshet Lindenbaum, à Beit Morasha et a reçu sa smikha chez le Rabbin Daniel Landes, ancien directeur de Pardes. Elle est diplômée de la Sorbonne en Histoire ancienne et travaille comme guide touristique depuis 8 ans. Bitya est membre du partnership minyan Hakel à Jérusalem, et croit à une halakha responsable, honnête et engagée.

Une halakha dynamique? Étude sur l’évolution et les limites de la loi juive.

Dans cette série nous explorerons le dynamisme de la halakha sous un angle philosophique et historique, en nous penchant notamment sur les principaux enjeux contemporains (statut des femmes juives, place de la science, etc…).

La halakha se résume-t-elle à un simple recueil de rituels et d’interdits ? La halakha a-t-elle évoluée au cours des siècles ? Quelles sont les/ Y a-il des différences philosophiques entre ashkénazes et séfarades ? Tant de thèmes que nous aborderons ensemble, autour d’une étude sur texte.

gabGabriel Abensour a étudié 5 ans à la Yeshivat Hakotel et étudie en ce moment au Kollel d’halakha « Har’el ». Il termine actuellement un programme de philosophie, économie et sciences politiques à l’Université hébraïque de Jérusalem et débute un M.A. en études juives, où il se focalise sur la pensée rabbinique séfarade. Gabriel a également fondé en 2009 Le blog Modern Orthodox qu’il anime en collaboration avec Emmanuel Bloch.

Tu aimeras ton prochain comme toi-même, voyage avec un verset à travers la littérature rabbinique.

Dans cette série nous suivrons le voyage d’un seul verset de la Torah à travers ses manifestations dans la Mishna, le Midrash et le Talmud, son utilisation dans les textes de la mystique juive et de la tradition philosophique. De cette manière, nous aborderons la façon dont la littérature du judaïsme évolue et de quelle manière le Tanakh constitue le fil conducteur de cette évolution. Grace au thème « aimer son prochain », nous aborderons les multiples interprétations qu’ont fait naitre ce commandement positif de la Torah et verrons dans quelles mesures elles sont basées sur différents narratifs relatant plusieurs visions du monde et de soi-même intrinsèques au Judaïsme.

eliora-peretz-1Dr. Eliora Peretz est chercheuse associée à l’Institut Truman pour l’Avancement de la Paix (Université Hébraïque de Jérusalem), au CRFJ/CNRS et conférencière à Yad Vashem. Ancienne élève de la Yeshivat Hadar de New York (08′-10′), elle a effectué son Alyah en 2010. Elle coordonne depuis 2014 un programme d’été en français au sein du Beit Midrash du Centre Fuchsberg. Elle étudie actuellement au Machon Schechter.

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