Le blog s’intéresse depuis des années à l’évolution de la place des femmes au sein du judaïsme orthodoxe. L’un des premiers articles du blog mentionné d’ailleurs la nomination de la première femme rabbin orthodoxe aux États-Unis, Sarah Hurwitz. Pour ceux qui s’en souviennent, Rabba Sarah, comme l’appellent ses fidèles, dirige depuis cinq ans la Yeshivat Maharat à New-York, l’équivalent d’un séminaire rabbinique orthodoxe, mais uniquement pour femmes.
Ceci étant dit, le judaïsme américain semble parfois éloigné de nos horizons français alors que le judaïsme israélien, orthodoxe dans sa grande majorité, semble bien plus proche du notre. C’est pour cela que j’ai cru bon d’écrire ce billet pour signaler au public juif francophone trois évènements historiques, s’étant succédés les uns après les autres en l’espace d’à peine deux ans.
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L’émergence de dayanot orthodoxes
Depuis quelques années, les programmes d’études halakhiques avancés fleurissent pour les femmes orthodoxes en Israël. J’en dénombre cinq mais il est possible que leur nombre soit encore plus importants et augmente d’ailleurs d’année en année. Ces programmes sont l’exact équivalent de ceux proposés par le rabbinat d’Israël aux candidats masculins. Les étudiantes, possédant toutes un large bagage d’études talmudiques, approfondissent l’étude de la loi juive et passent des examens validés par des autorités orthodoxes reconnus. Après plusieurs années d’études, les étudiantes obtiennent leur smikha, ou ordination rabbinique et continuent généralement une carrière dans l’enseignement.
Un premier groupe de femmes érudites ayant déjà obtenu leurs smikhot ont commencé, il y a trois ans, un programme de dayanout: huit ans d’études approfondies qui leur donneront le titre de dayanet, juge rabbinique. À ma connaissance, c’est la première fois dans l’histoire juive qu’un groupe de femmes s’apprête à obtenir ce titre. Si on connait des cas isolés, comme la célèbre juge biblique Déborah, ils étaient jusqu’alors anecdotiques, les voilà désormais institutionnalisés.

Ces femmes seront-elles acceptées dans une cour rabbinique orthodoxe ? À court terme, il est probable que non. D’ailleurs, il est probable que telles ne soient pas leurs intentions, ces études leurs permettront surtout d’avoir les connaissances suffisantes pour devenir décisionnaire. Notons cependant que le Rav Bakshi Doron, ancien grand rabbin d’Israël, a récemment soutenu qu’une femme pouvait siéger dans un tribunal rabbinique à condition d’avoir l’assentiment du public.[1] Ceci étant dit, l’apparition d’une génération de femmes érudites ne pourra qu’apporter un vent de renouveau au sein du discours halakhique pour l’instant quasi-totalement masculin.
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Un premier livre de responsa écrit par une femme
Malka Pioterkowsky est l’une des pionnières de l’enseignement du Talmud pour femmes en Israël. Après avoir co-fondée la Midreshet Lindebaum (Brouria) et y avoir enseigné durant des années, ainsi que dans d’autres centres d’études pour femmes, Malka Pioterkowsky s’est retirée pour se consacrer à l’étude et l’enseignement approfondit de la halakha. L’année dernière, elle a publié un premier recueil de responsa, Mehalekhet bedrakha (מהלכת בדרכה).
Ce recueil comporte un double intérêt. Non seulement, il est le premier recueil de responsa écrit par une femme, mais en plus il prouve que le public orthodoxe se tourne déjà depuis des années vers les femmes érudites afin d’obtenir des réponses à leurs interrogations halakhiques. Sans surprise, une bonne partie du livre est consacré à des questions touchant au public féminin, de l’autorisation pour une femme à porter les téfilines (autorisés avec prudence, pour les femmes engagées dans leur vie religieuse, mais avec discrétion) à la possibilité d’utiliser des moyens contraceptifs au début du mariage (autorisé également si le couple n’est pas encore prêt à la parentalité). Mais le livre traite aussi de questions bien plus classiques comme le respect des parents ou les limites halakhiques de l’entraide.

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Une première dirigeante de communauté
Je finis avec la plus récente des nouvelles : il y a une semaine à peine, la communauté « Ramban », à Jérusalem, intronisait son nouveau rabbin, la Rabbanite Carmit Feintuch.
Ramban est une communauté orthodoxe moderne importante, dirigée par le charismatique rav Benny Lau (cousin de l’actuel Grand Rabbin d’Israël). Il y a quelques mois, la communauté avait annoncé qu’elle souhaitait rajouter une femme, qui certes ne dirigerait pas les offices (orthodoxes) de la synagogue, mais pourrait remplir un rôle spirituel en enseignant, répondant aux questions d’halakha, accomplissant d’autres cérémonies religieuses, etc.

C’est la Rabbanite Carmit Feintuch qui fut choisie. R. Feintuch appartient à cette première génération de femmes érudites et versées dans l’étude du Talmud. Elle a étudié dans plusieurs centres d’études pour femmes et a passé l’équivalent de sa smikha au Collel pour femmes de l’institut Matan. Elle enseigne le Talmud depuis sept ans à la Midrasha Migdal Oz, l’équivalent féminin de la Yeshivat Har Etzion.
Élément intéressant pour le public francophone, lors de la cérémonie d’intronisation de R. Feintuch, le premier orateur fut le Grand Rabbin Samuel Sirat, ancien grand rabbin de France et aujourd’hui membre de la communauté Ramban. R. Sirat a salué la nomination de la rabbanite Carmit Feintuch avant de laisser la parole à Blu Greenberg, l’une des pionnières du féminisme orthodoxe américain qui avait prédit dans les années 70 l’émergence d’une génération de femmes orthodoxes érudites et même de femmes rabbins orthodoxes. Son émotion laissait cependant entendre qu’elle n’avait pas pensé le voir de son vivant.
Vidéo de l’intronisation de la Rabbanite Feintuch
[1] שו »ת בנין אב, ירושלים תשמ »ב, סי’ סה.
Cet article Émergence d’un leadership féminin orthodoxe en Israël est apparu en premier sur Le blog Modern Orthodox- התחדשות יהודית.